Japan


14 mars 2008

 

Je vais aller sur une île. A l'autre bout du monde. Au Japon. Je vais à Tokyo. Chez Claire Jacqmin, dont j'étais amoureux quand j'avais six ans. Elle enseigne à Keio, m'invite à faire une conférence linguistique au Japon. Je connais indirectement le pays, par Jean François, qui avait passé presque un mois là-bas, dans la famille de Nobuko, puis par Katsuya, l'étudiant de Philip.

Avant cela, je connaissais le Japon par les dessins animés. Retrouver Claire à Tokyo me ramène à quand j'avais dix ans, que j'enregistrais « les chevaliers du zodiaque » à la télévision. Vague mythologie, vieux sage de la montagne, et cette princesse aux cheveux violets qui jouait une sonate de Mozart, devenue mon morceau de musique préféré.

Meiji, Mozart, Nobuko, Vienne : la musique occidentale au Japon.

 

 

27 mars 2008

 

Les Chansons de Narayama présentent une éthique bouddhiste extrêmement proche du stoïcisme. Une vieille femme, dans un village pauvre de la montagne, approche des 70 ans. La tradition veuxt qu'on fasse alors le pélerinage à la montagne de Narayama, pour prier le Dieu. Mais elle a toutes ses dents, c'est une honte, on pourrait croire qu'elle mange trop, donc en les frappant d'une pierre, elle en brise deux. Puis elle part, accrochée sur une planche au dos de son fils, et sur la montagne, au milieu des cadavres et des corbeaux, s'installe à côté d'une pierre, en attendant qu'il neige.

Elle est fière, elle est vaniteuse, elle a peur du qu'en dira t'on plus que de la mort, et donc, elle part sans hésiter, quand vient la saison, sans demander de délai. Tranquille et stoïque.

Elle incarne peut-être un certain idéal de l'époque, et de plus en plus à présent que les ressources se font plus rares. Il faut mourir, quand vient l'âge, et se laisser manger, pour que d'autres mangent. Le corps se dissout, l'âme revient, finalement, rien n'a grande importance que d'observer les rites et les règles. Ainsi veut la morale zen.

Il y a danger, je crains que le monde entier ne se bouddhifie, que l'on présente de plus en plus ce modèle comme le plus désirable.

Ming parle de la mélancolie des choses, et la met en rapport avec sa « vietnamité ». Oui, l'héroïne du livre, O-Rin, est une païenne vertueuse. Elel a du courage, et ne craint pas la mort. Mais elle n'a pas d'espoir, peu de foi, peu de charité ; ni la communauté beaucoup pour elle.

(Il faut comprendre en quoi l'action d'O-rin est anti-chrétienne, et, corrolairement, pourquoi les chrétiens ne savent pas composer d'haïkus.)

Deux images : O-Rin, 70 ans, qui renonce à la vie quelques années plus tôt, pour que sa part de nourriture aille à l'enfant qui va naître, et Jésus, 33 ans, qui meurt sur la croix pour que son corps soit la nourriture de tous. Multiplication des pains et des poissons d'un côté, techniques pour attraper les truites et division du riz, de l'autre. Infini/fini ; pouvoir / ordre ; et finalement, liberté / obéissance. O-Rin est entièrement déterminée ; le Christ est libre.

Au final, tout se ramène à ça, le courage en face de la mort, dit Steinaert. en face de la mort, courage, et c'est le fondement du droit (qui est aussi pouvoir). O-Rin est courageuse aussi, mais quand la mort est inéluctable, et c'est bien différent, choisir de mourir à 33 ans, choisir de mourir à 70.

Et donc, aussi, plus on vieillit, plus le droit cède à la médecine (y voir, peut-être, une clef d'interprétation pour les sociétés occidentales vieillissantes).

En rapport avec le reste de l'Asie, la société japonaise est plus ordonnée, plus rigoureuse et plus vieille, en même temps que plus riche. On doit y respecter les codes et les cérémonies, mais on y est plus protégé. Technocratisme, un réseau serré d'obligations qui rend les comportements de chacun prévisibles – à moins qu'il ne deviennent fous, n'explosent et ne tuent tout ce qui bouge, ou, plus vraisemblablement, car c'est ainsi qu'on les conditionne, ne se suicident.
14 avril 2008

 

Japon – l'atome – Hiroshima, Nagasaki. Dans le roman d'Ibuje, Pluie noire, que je n'ai pas encore lu, l'héroïne est suspectée d'avoir subi les bombardements ; mais doit le cacher. Car être victime, et surtout victime atomique, n'est pas un titre de gloire, mais un stigmate. On comprend d'ailleurs les époux potentiels : est-ce qu'il ne va pas lui pousser un autre bras, sous les seins ?
27 avril 2008

 

On sait que le Japon fut un protagoniste important de la IIe Guerre Mondiale, aux côtés de l'Allemagne et de l'Italie. Mais alors qu'à l'Ouest, on a trouvé des dirigeants responsables, Hitler, Mussolini, même Franco, les responsabilités japonaises, en tous cas pour l'histoire européenne, sont diluées. Pas de figure historique à laquelle on pourrait s'attaquer.

 

 

09 juin 2008

 

« Au Japon, ils ont pris toutes les choses de la Chine, l'écriture, la culture, les costumes. Et maintenant, les chinois vont au Japon, parce qu'ils ont mieux conservé, comme les temples ou la cérémonie du thé ». C'est ce que m'expliquait Ming qui, dans le cadre de sa formation « management du luxe », apprend non seulement l'anglais et le français, mais aussi le japonais.
27 juillet 2008

 

J'ai pris ce matin mon billet pour le Japon. Départ de Hong Kong (HKG) le mardi 21 octobre à 8h20, arrivée Tokyo Narita (NRT) le même jour à 13h15. Retour le dimanche le 26 octobre, où nous quitterons Tokyo à 18h20. Présence requise à l'aéroport deux heures plus tôt pour les vols internationaux. J'espère que ces billets suffiront comme preuve de sortie du territoire chinois. Même si nous retournons à Hong Kong.

L'achat des billets : moment post-moderne. Après avoir vainement essayé viva Macau, qui propose des charters Macao-Tokyo les mardis et samedis, mais n'indique pas les prix sur son site, et redirige pour cette destination vers des agences de voyage dont les sites sont intégralement en chinois, sauf le numéro de téléphone. J'ai cherché par lastminute.com. Vol le moins cher : northwestern airlines. Environ 800 euros pour deux. Je vais voir sur leur site, et trouve les mêmes billets pour 1039 $, soit environ 670 €. Pas mal. Si ce n'est qu'au dernier moment, le site refuse mon paiement : il faut que le compte en banque soit domicilié aux Etats-Unis. J'envoie des mails, puis farfouille un peu, je trouve un lien vers le site français – nwa.com est partenaire de KLM. Si ce n'est que KLM.com, en français, ne permet de commander que des billets partant de la France. J'envoie donc un autre mail, puis, sans attendre la réponse, vais voir si je trouve un prix similaire en passant par opodo.com. Prix similaire, mais il faut ajouter 38 € de frais. Réponse au premier email – au moins, c'est efficace, elle est arrivée tout juste une heure après la question – il faut aller sur le site français. Je décide, sans attendre une réponse au second, de commander sur opodo. 700 euros pour deux. La deuxième réponse arrive : appeler l'agence en France, etc. Je ne regrette pas opodo. Tout s'est fait depuis Las Terrenas, République Dominicaine.
21 août

 

Ce matin, déjeuner avec Claire. Pâtisseries arabes, pâtisseries françaises, café, smoothie banane, orange et litchi. Les échanges de nouvelles habituels, puis son programme - « Qu'est-ce que vous voulez faire à Tokyo? » - « Plutôt le Tokyo moderne avec les choses en plastique rose que les vieux temples. » Et Claire nous a concocté un itinéraire : rue des filles, karaoké, plusieurs quartiers aux noms japonais.

Puis je lui ai demandé conseil pour les conférences. A l'université américaine, je parlerai de Lo Piparo : linguistique aristotélicienne. a l'université japonaise – la deuxième du pays – je vais faire 1h30 de conférence, avec interprète, sur la linguistique et le français. Considérations générales, puis pragmatique et politesse. Il faut rendre un texte à l'avance, et faire un powerpoint. Aaaaah.

« De toutes façons, ils feront semblant de comprendre. » Et si le problème n'était pas la réaction des étudiants...
28 août 2008

 

« Like grandpa didn't like the Japs. » Hier, au Red Lion, près de Westminster Abbey, Philip, Angela et moi parlions de nos grands-parents pendant la guerre. Je croyais que leur grand-père paternel était soldat professionel. Non, professeur. Mais pendant la guerre, il était en Papouasie-Nouvelle Guinée, dans la DCA, pour contrôler l'avancée des japonais. Je ne sais pas si, en Australie, ces conflits sont apaisés. Je crois qu'ailleurs – en Chine, en Russie – les japonais n'ont toujours pas très bonne presse. Voir (bête).
15 septembre 2008

 

A cinq jours et demi du départ, j'ai failli m'acheter un livre sur Tokyo chez Gibert, avec des bons d'achat obtenus ce matin. Surtout visuel, avec une préface de Chris Marker, on y voyait des mascottes en peluche « mignonnes », des femmes japonaises, bref, le Tokyo cool, où s'invente une hypercité virtuelle et post-moderne ; et dans aquelle, peut-être, s'inventent la plupart des modèles diffusés par la suite en Asie.
24 septembre 2008

 

Le Japon, signe d'ascension sociale. A Varsovie se sont ouverts plusieurs restaurants de sushi dans les dernières années. J'en ai passé trois hier, en marchant vers la vieille ville. Très chic, décor noir et rouge. Kuba, Marcin et Anya m'ont confirmé que les nouveaux riches polonais mangeaient bien des sushis, pour la pause déjeuner.

Ce matin, dans la galerie, photo plus comique d'un homme et d'une femme, sabre à la main, prenant des cours de samouraï.
26 septembre 2008

 

A Moscou, j'ai vu plusieurs physionomies qui m'ont semblé japonaises. J'ai peut-être identifié faussement des russes asiatiques, altaïques, mongols, tongouzes, etc. Mais en voyant ces visages, qui me rappelaient les images de tokyo, je me suis dit, c'est vrai, les deux pays partagent une frontière maritime, et se font la guerre pour des bouts d'archipel.
29 septembre 2008

 

Il paraîtrait, d'après le livre de linguistique française que j'utilise pour préparer ma conférence à Keio, que le Japon soit caractérisé par la « politesse négative » (marquer et garder les distances par rapport à l'autre, afin de ne pas s'imposer), tandis qu'on favorise, dans le monde anglophone, la « politesse positive » (écoute active, acquiescements, renchérissements). Quant à la conférence, elle s'annonce intéressante mais, d'un point de vue académique, farcesque.
08 octobre 2008

 

Ming nous explique que les riches chinois, malgré l'histoire, les guerres et les haines historiques, aiment suivre les modes japonaises (ou coréennes). Eddie, notre hôte à Harbin, était tout content d'avoir acheté sur internet un petit blouson de cuir gris made in Japan. Il nous montrait des photos de beaux mecs sur internet : japonais.
15 octobre 2008

 

Expérience de chic japonais : nous prenons un café dans le grand centre commercial de Pudong. Vue sur Shanghai, soleil couchant. sur la droite, immeuble en construction. tout à l'heure, nous avons visité Pudong en bus touristique. On est passé devant trois énormes tours résidentielles, très élégantes, en front de rivière. Le mètre carré le plus cher de Shanghaï, à 14000 euros. Les revêtements des tours sont réalisés par une entreprise japonaise.

Philip s'est acheté chez UniQLO une veste élégante, sport, marron. Marque japonaise. Je me suis acheté une veste polaire zippée réversible : un classique, mais bien coupée. Vais-je trouver à Tokyo cette élégance classique et colorée, style suédois, que je projette sur le pays ? Ming, assise en face de moi, lit à Philip une liste de projets touristiques pour voyageurs solitaires : monter sur une tour à Tokyo, voir un film à Venise, écrire des lettres à Paris, puis méditer sur les écrivains chinois.

 

 

 

19 octobre 2008

 

Hong-Kong : dans un petit square derrière Caine Road, où Pearly nous héberge, nous mangeons des sushis au saumon, pari les familles philippines qui font leur pique-nique dominical. 8$50 pour six petits rouleaux de makis au supermarché, moins cher qu'en Australie. Mais comme là-bas, semble-t-il, partout accessible, et très normal. Nous sommes dans le Pacifique multiculturel, de San Francisco, Tokyo, Singapour, où l'on mange partout des sushis. Ce n'est plus, comme en Pologne ou comme en Russie, signe extérieur de nouveau riche, nourriture de luxe, et de mauvais goût.

Tout à l'heure, autre image californienne : nous sommes dans la cité du cinéma, qui célèbre ses stars par une promenade imitée de sunset boulevard, à Kowloon. Nous avons vu les empreintes des mains de Maggie Cheung et Bruce Lee ; Wong Kar Wai a laissé vierge sa plaque. Une femme posait à côté d'un cameraman en bronze. Hong Kong est, avec Séoul et Tokyo, la grande ville du cinéma asiatique. Comme Hollywood et Los Angeles, de l'autre côté du Pacifique, et Sydney – qui ressemble énormément à Hong Kong – au sud. Hong Kong est aussi, comme toutes ces villes, un grand port, où circulent des paquebots, où l'on prend des ferries pour se déplacer, où l'on rêve de vues sur la mer.

Impression défavorable du Japon, cependant, qui tient à la façon dont Takahiro, le directeur du département de français, à Keio, pour qui je vais faire une conférence sur l'unité et la diversité de la langue française jeudi, me traite par dessus la jambe. Il n'a répondu qu'il y a huit jours à l'email que j'avais envoyé de Paris le 15 septembre, où je proposais deux sujets de conférence ; il veut à présent que je lui fasse parvenir un texte, un powerpoint, afin qu'il prépare la traduction de ma conférence. Il n'a pas répondu, toujours, à la question pourtant précise que je posais concernant la durée de parole dont je disposerais, bref, il fait mal circuler l'information, ne sait pas être précis, ne répond pas dans les délais, comme faisaient, à la Sorbonne, les professeurs et les maîtres de conférence que j'ai fui. Ce sera mon dernier contact avec l'université.
21 octobre 2008

 

Dans l'avion pour Tokyo, petits signes extérieurs de nipponité : politesse verbale de ma voisine – qui me gratifie d'un sonore « bless you » quand j'éternue, retire à grands renforts de pardons son bras de l'accoudoir si, par hasard, je l'effleure. Petite serviette chaude, qu'on nous tend à la pince avant le repas. Mais peut-être est-ce une conséquence dérivée du voyage en avion, dont j'avais oublié le luxe après toutes ces expériences dans les trains.

Hier soir, avec Pearly, discussions sur les relations professionnelles dans les entreprises japonaises. Epouvantables, apparemment : brimades, attaques personnelles, et respect rigide pour les hiérarchies liées à l'âge. Quant aux femmes, on n'attend rien d'elles qu'un départ de l'entreprise après leur mariage. Très loin de sa propre situation, chez Goldman Sachs, où ses patrons la respectent et veulent la faire progresser, où dès son premier poste, on lui confie d'importantes responsabilités.

Même rigueur, semble-t-il, dans les rapports homme-femme. Je disais à Claire, en m'appuyant sur les séries taïwanaises et l'observation de Ming et ses amis, que les sociétés asiatiques me semblaient particulièrement peu machistes. « Oh non! »m'avait-elle répondu. Hier soir, Pearly nous a dit que c'était une des  principales différences entre la Chine – surtout Taïwan – et le Japon. Les taïwanaises dominent, les hommes font la vaisselle, et quand, après le repas, le copain de Pearly s'est énervé contre elle au téléphone qu'elle n'avait pas décroché on téléphone plus tôt, elle a répondu fermement. « I'm now gonna make Der-Yang apologize his arse off for shouting at me like that, » nous a-t-elle dit, sans trop de sérieux bien sûr, en allant dans sa chambre avec son ordinateur branché sur skype.

Au Japon, les filles doivent tout faire, nous avait-elle expliqué, faire la cuisine, la vaisselle, donner des cadeaux ; c'est même elles qui prennent l'initiative pour coucher avec les hommes, pas l'inverse. « Elles sont peut-être encore comme les geishas! » suggère Philip.

Il semblerait, en tous cas, qu'il y ait une relation particulière entre le sexe et l'archipel japonais. A l'aéroport de Hong-Kong, au relay, nous avons trouvé le premier objet pornographique depuis notre départ d'Allemagne. Un calendrier d'hommes nus japonais, sous cellophane, avec une étiquette annonçant que le contenu pouvait choquer les mineurs. Au dos, les hommes avaient sur le sexe une étoile pudique dans les petites reproductions alléchantes. Nous avons failli l'acheter, puis nous sommes dit qu'on risquerait de nous le confisquer en Chine. Mais il est possible que la pornographie soit une spécialité japonaise : lorsqu'au téléphone avant hier soir j'ai demandé à Der-Yang s'il voulait qu'on lui ramène quelque chose de Tokyo, il m'a répondu « porn ». Rires de Pearly derrière nous.

Claire nous racontait que, dans un quartier de Tokyo, les adolescentes se prostituent pour s'acheter des vêtements de marque, Hello Kitty, Vuitton, Prada. Que, surtout, ce n'est pas jugé particulièrement choquant.

Dans l'avion, lorsque nous atterrissons, je commence à percevoir les passagers qui m'entourent comme des japonais. Et, je ne sais pas trop pourquoi, ils me sont plutôt antipathiques. Physionomies tendues, fort potentiel d'agression réprimée. Je ne me sens pas très à mon aise. Philip, lui, regarde ravi le style d'un jeune homme sur notre droite. « We've entered the world of the Muji palette », dit-il pour décrire l'arrangement de gris et d'ocres que porte ce garçon. Je le trouve inutilement affecté.

Dans la station du skyliner pour Ueno, sans l'aéroport de Narita, j'achète une bouteille de « Pocari Sweat » en attendant qu'on prépare notre train. Je suis intrigué par la description – boisson spécifiquement conçue pour compenser les sels minéraux et liquides perdus en transpirant, et veux acquérir une bouteille pour conserver l'étiquette. Je me retourne et vois que, dans le train, les fauteuils bougent tout seuls – petite danse qui correspond sans doute au rituel de nettoyage automatique, mais pourrait être le fait d'un démon malicieux.
22/10/08

 

Première expérience aujourd'hui des fameuses toilettes japonaises, à Temple University. Sur le côté du siège, un bouton bleu « spray », portant un étrange symbole, sorte d'oméga surmontant un y grec en pointillés. J'appuie, j'entends un bruit, puis je sens un jet qui me touche les fesses – je me lève, surpris, l'eau jaillit contre la porte, embarrassé, je me rassois, je comprends la fonction de la chose, et trouve ça plutôt pratique.

J'ai fait mes deux interventions sur Aristote et le livre de Lo Piparo. Dans le cadre des classes de Claire. Petite salle, deux fois douze étudiants. Mélange de japonais et d'américains ; peu de questions. J'ai compris que j'aimais peu les étudiants. Leur passivité béate, leurs questions sans pertinence, et leurs yeux fatigués. Mais encore moins les professeurs, avec leurs manies, leurs bonnes intentions, leurs frustrations. Cependant, Claire a bien fait les choses, on m'a payé, 20.000 yens dans une enveloppe en papier.

Marche ensuite, vers Roppongi Hills. Le quartier de Temple – où sont les ambassades occidentales – était ennuyeux. Bizarrement, malgré la pression foncière, beaucoup de petites maisons, pas plus d'un étage, dans des allées calmes. Impression terriblement banlieusarde, inquiétante, épouvantablement dans une mégalopole de trente millions d'habitants. Pourquoi ne pas vivre en appartement ? Roppongi Hills est à peine plus rassurant. Lieux publics propres, immeubles neufs, statue d'araignée géante, musée d'art moderne et festival international de cinéma. Beaucoup d'occidentaux – presque exclusivement des petits blancs sur les toboggans du jardin d'enfants près de l'eglise luthérienne – japonais stylés aux visages parisiens. Visages tendus, qui veulent dire, « je suis complexe », et que je décode en « j'abrite une totale perversion. Tu veux partager ma folie ? Je suis à la fois jeune et vieux, femme enfant, doux et cruel, je suis prêt à mourir ou à tuer pour toi, viens ! » Ces gens me repoussent, comme les parisiens.

Les occidentaux qui viennent ici semblent contaminés. dans la classe, avant le début du cors, un américain blond surlooké s'arrangeait le bonnet dans l'écran de la télévision sur le côté. tout à l'heure, une vieille femme dans la rue promenait sans humour un caniche à toupet. Nous avons suivi jusqu'au métro cette blonde aux cuisses exhibées sous la jupe d'écolière trop courte, et le visage vide. Une américaine, grosse et laide, arborait ses dentelles et son chapeau dans l'ascenseur de l'université.

Conférence à Temple sur la crise économique. Panel de quatre membres : un médiateur français, deux américains, un japonais. Le japonais, calme et souriant, pose des faits, parle de long terme, et trace des parallèles historiques ; dans un anglais légèrement hésitant. Les américains, d'un ton plein de certitudes, parlent trop, sans donner de faits, parlant uniquement de court terme, et reposant sans cesse la question. Ces deux américains sont en tous cas d'accord, contre le japonais, pour juger que les conséquences de la crise économique seront majeures et négatives.

Mais qu'entendent-ils par « négatives » ? Le japonais, l'air tout excité, parle de sa « mission », convaincre l'auditoire que la crise actuelle n'(est pas la même que celle auquelle s'est vu confronté le Japon dans les années 90. Il parle avec enthousiasme, il agite les bras, cligne des yeux, regarde, à droite, à gauche, dévisage. Et semble se dire, « dans une seconde, là, tout va s'effondrer, ça va venir. » Il n'attend que ça.

En entendant parler l'américain, parlant des risques financers que la mathématisation des finances et les complexes assurances mises en place avaient semblé faire disparaître, et, pendant ce temps, la figure sceptique au sourire pervers du japonais, je pense aux tremblements de terre, donc Claire a dit hier qu'elle commençait à les craindre. A tokyo, tout peut s'écrouler d'une minute à l'autre, entraîné par le mouvement des plaques souterraines. On doit bien rire, au Japon, quand on entend parler d'éliminer les risques.

 

Costume et désir : homme d'affaire, écolière, lolita gothique, femme en kimono, geisha. Face à moi, dans le métro, jeune fee qui s'arrange les cheveux. D'abord, je la trouve très attirante. Plus je l'observe, et plus elle devient laide. Mais cette laideur, étonnamment, ne la rend pas moins désirable. elle semble, au contraire, par cette absence de beauté réelle, plus accessible et plus susceptible d'offrir son corps. Au bain, dénudés, ces corps perdent-ils leurs masques ? Et sont-ils plus, ou moins désirables ?
23 octobre  2008

 

Dans le train pour Keio, une vieille femme en jupe de laine et bottes fourrées se tient debout dans l'allée centrale, dos contre une porte de communication. Silencieuse d'abord, elle se met à parler. Je lève la tête : « elle est folle », me dit Claire, « elle est souvent sur cette ligne », et, mystérieusement, ajoute, « ils évacuent le stress ». Je repense aux fous du métro, dont je trouvais la présence normale à Paris. « No speak English », dit la femme, quand Claire s'adresse à moi.

A l'Institut franco-japonais, j'assiste à la rencontre avec Nancy Huston. Rousse, vêtements noirs, maquillée, l'air patiente et mal à l'aise, triste et potentiellement agressive, elle est entourée de deux japonais, le médiateur-traducteur Orie-San, de Keio, sur sa gauche, et sur sa droite, un maître de conférence en littérature française. Le modérateur commence par des banalités, « grande chance », « rencontre à travers l'oeuvre ». Elle a les joues creusées, le visage maigre, et n'est pas heureuse d'être là.

elle nous lit des passages de son dernier livre, Lignes de faille. Monologue intérieur d'enfants de six ans. Je n'aime pas. Trop d'informations, comique, mais comique faux, ce n'est pas ainsi que parle un enfant, ce n'est pas ça qu'ils disent. Une fausse empathie, qui relève de la même perversion que celle des femmes enfants japonaises. Mélange d'enfance et d'âge adulte – et le malaise que je ressens en voyant Nancy Huston, il vient peut-être de là, de cette perversion, de ces adultes-enfants qu'elle génère, et qu'elle vend.

Minh Tran Huy, dans une interview que j'ai vue sur youtube, parlait avec émotion de Murakami, peignant la nostalgie des choses qui vont disparaître. Nancy Huston explique son pessimisme : elle croit que l'espèce humaine ne va pas s'améliorer, qu'on est mêlé de mal et de bien, qu'on est complexes et passionants, mais surtout que les belles choses sont belles, quoiqu'elles puissent engendrer l'horreur – ou l'horreur les faire naître. Elle adopte, en somme, une attitude exclusivement esthétique, et non éthique, en rapport à la vie. Ce qu'est peut-être la perversion, ce que peut-être on trouve si fascinant dans la culture japonaise.

Et pourtant, cette perversion profonde s'accompagne d'un moralisme en superficie. De Le Clézio, sur le prix nobel duquel on lui pose une question, Nancy dit « qu'il a la coeur au bon endroit », quoiqu'elle n'ait pas lu ses romans. Puis elle ajoute, avec un geste humble d'excuse, que de tout le monde elle n'en dirait pas autant, pas de Jelinek een tous cas, pardon. Parce qu'elle met en scène et prolématise la perversion, je suppose.

 

 

24 octobre 2008

 

Dans le quartier chaud, près de Shinjuku, dans la vitrine de Pearl Pink II, costumes érotiques. Les habituels culottes et soutiens gorges à dentelles, mais aussi, plus étonnant, costume de sorcière, manteau noir et chapeau pointu, profondément décolleté. Tout à l'heure, dans une librairie sur huit étages, nous avons feuilleté les mangas. Nombre infini de petits livres érotiques. Bizarrement, les corps féminins – seins surdéveloppés, yeux d'anges, et costumes aguichants, - semblent produire toutes sortes de liquides, entre les cuisses ou depuis les seins. de sorte que leurs contacts avec les hommes se font dans un monde de slime. Encore plus dérangeant, les DVDs érotiques, au deuxième étage, où la petite section « zhongxue » montre des adolescentes – 13 ou 14 ans – l'air jeune et perdu, qui prennent des poses aguichantes en culottes ou maillots de bain.

Après avoir couru derrière une sorte de pompe à muscles avec boucle d'oreille et cheveux longs dans Kabuki-Chou, nous nous installons dans le café Muji, deuxième sous-sol de la boutique mère, sur Yasukumi-dori. Chandeliers en verres à pied retournés, tables et sols en bois clair, violons qui râpent un peu, lumières douces et plafonds hauts. Philip me montre une serviette en papier crème, et pose dessus le touilleur blanc. « I love the muji palette », répète-t-il, reprenant l'expression de Qiu Yi ; puis nous parlons chaises et mobilier jusqu'à l'arrivée de nos soy-lattes.

Bizarrement, parce que nous sommes venus voir Claire plus que Tokyo, nous nous somes retrouvés dans un univers d'expatriés et d'universitaires. Hier, Keio, français et francophiles. Aujourd'hui, poetry reading à Temple, branche japonaise d'une institution dont le campus est à Philadelphie. quatrième étage, bibliothèque, vingt personnes assises en carré dans le fond. Quelqu'un lit des poèmes sur la mort de sa belle-mère et joue du banjo, vieil homme avec une verrue sur l'oeil. Puis il fait une pause, on se lève, on attrappe une tasse de café, des gâteaux, et le vieil homme reprend sa lecture, évoquant son enfance en Californie. Je ne sais pas vraiment quand débute le poème, ou quand il finit, car il n'y a ni rimes, ni mètre clairement perceptible. Avant ce numéro, plus dramatique, une quarantenaire blonde lisait un long texte à propos d'une américaine expatriée dont le fils, à l'école, était le bouc émissaire des petits japonais. Debout derrière une table, elle déclamait avec sérieux son oeuvre, alors que dans l'auditoire, trois japonaises clignaient frénétiquement des yeux.

Je bois une tasse de café – contrairement à mon habitude, après 19h. Il est très mauvais, trop fort, goût de brûlé, trop acide. A tokyo, tout le monde a l'air d'en boire : on en trouve, avec ou sans lait, dans tous les distributeurs automatiques, en canette. Et dans les supermarchés, certaines canettes sont au chaud, sous verre, dans des vitrines spéciales – on se brûle à peine en les buvant. Est-ce l'excès de caféine qui rend les gens si tendus ? Le vieil homme, à présent, lit un poème sur la mort de son frère, intitulé « suicide doors ».
25 octobre 2008

 

Dans le métro de Tokyo, les femmes enceintes – auxquelles il faut céder un siège par courtoisie – sont représentées avec trois petits traits qui sortent de leur ventre arrondi. Ce rayonnement correspond-il au pouvoir mystique de l'engendrement ? S'agit-il d'une étrange coutume shinto ? Faut-il mettre en rapport ces traits magiques sur le symbole de la femme enceinte, et les liquides féminins des mangas pornos ?

Peut-être y a-t-il ici du corps une ontologie différence. On l'imagine peut-être moins comme chair-solide, irrémédiable, et susceptible d'être marqué – que comme un sac de fluides, mobile, apte à la métamorphose. On pourrait comprendre ainsi les fluides féminins des mangas, mais aussi le goût du costume et du maquillage : il s'agit de donner une forme au corps mobile, une forme en résonnance avec le désir de l'autre, et non pas de se montrer tel qu'on est. Car il n'y a pas de chair, dissimulée mais authentique, qui soit objet potentiel du désir.

Est-ce qu'il faut, pour aller plus loin, mettre en rapport le fétichisme généralisé, l'emprise des sous-cultures chez les adolescents, la variété des costumes (punk, hommes d'affaire, kimono traditionnel), et les petites figurines en plastique, en vente à Shinjuku, Akihabara, qui représentnt robots, power rangers, biomans ou jeunes filles décolletées, et dont, sans aucun doute, il y a nombre de collectionneurs ? Ou, parce que petit, je regardais les programmes japonais des émissions pour enfant, et je jouais à des jeux vidéos fabriqués au Japon, je projette rétrospectivement, méprenant les signes pour la structure, ma passion collectionneuse infantile sur la psyché national. Et même, cette perversion dont je parle, et que j'analyse comme superposition de l'adulte et de l'enfantin – comme désir polymorphe aussi – n'est-ce pas ma propre perversion d'enfant qui reparaît à la vue de toutes ces images si dominantes à l'époque ? et cette superposition des âges, n'est-ce pas moi qui, maintenant adulte, éprouve à la fois dans cette ville une confusion dérangée d'émotions prépubères ?

Le kabuki, serait-on tenté de dire avec un oeil occidental, est hyper-conventionnel, hyper-artificiel, et ne vise en rien la représentation naturelle : mouvements hiératiques, maquillages opaques, intonations artificielles, et même le fait qu'au chanteur-narrateur est délégué partie du rôle explicatif. Pourtant, les personnages que je vois sur scène, en face de moi, ne sont qu'à peine exagérés par rapport à certains que j'ai croisé dans Tokyo. Hiératisme et costume, expressions figées : c'est une peinture, en somme, assez fidèle de l'éthos japonais.

Notamment – c'est le plus étonnant – raideur et rigueur, sur scène ou dans la rue, n'entraînent pas le rire. On n'y voit pas du mécanique plaqué sur du vivant. Les geignements des pantins qui s'agitent en kimono sur la scène du kabuki ne sont pas grotesques ; ils reflètent une sorte de tragique, ou de douleur au moins, que partage le public. Ils génèrent de l'émotion, car ce sont des humains dont la souffrance personnelle est ignorée par les codes stricts qui déterminent leurs gestes et leurs intonations. Le but n'est pas, en les représentant, de les mettre en lumière, et d'établir ainsi, pour le public, un jeu, la possibilité d'une distance, et d'une prise en main, des possibilités d'action. Mais une émotion plus esthéitique, une communion triste avec la douleur qu'éprouvent les victimes du drame, et le sentiment désespéré d'une impuissance mélancolique face aux codes, aux puissances, aux cycles naturels, aux transformations du monde. Et ne demeure que cet hiératique figement, ce pantin maquillé, qui danse et qui chante face à la mort, au lieu de s'enfuir, ou de confesser ses crimes.

Ce n'est pas l'aria, mais la pose qu'on applaudit au Kabuki. Sur ma droite, un jeune japonais crie de temps en temps vers la scène. J'en demande à Claire la raison, pendant l'entracte. Elle explique : c'est le nom de l'acteur, parfois, mais généralement, c'est le nom d'une pose traditionnelle, lorsqu'elle est particulièrement bien exécutée. Ce n'est donc pas un art du mouvement, mais de l'arrêt. Car spontanément, le corps est noble, et que l'art supérieur consiste à savoir l'arrêter, le figre conformément aux codes.

On ne penserait donc pas, au Japon, le corps comme une masse inerte et que l'esprit, puissance dynamique, met en mouvement, puis qui se pétrifie dans la mort. Le corps est plutôt quelque chose comme un sac de fluides et d'organes hétérogènes, auxquels, au mieux, pendant la vie, l'esprit donne forme, en contrôlant leurs mouvements désordonnés, en les masquant, en régulant leur modalité d'action. Corps que, pour interagir avec d'autres corps, on revêt d'un costume et d'un masque, afin d'en contenir les errements impulsifs et le chaos.

Parce que l'air est pollué, peut-être, ou parce qu'il y a de mauvais acariens dans le futon, dans les oreillers, dans le tatamis, parce qu'on dort par terre et qu'il y a des poussières, ou que les murs sont en papier, je me réveille tous les matins la gorge et le nez chargés. Je râcle en grognant, j'incline la tête, et j'expectore ou mouche une grosse quantité de mucus jaune-vert et gluant, que je crache dans un mouchoir. Liquides corporels – il est tabout, paraît-il, de se moucher dans la rue.

La cuisine est elle-même en rapport avec cette esthétique et cette ontologie du fluide. Pas seulement parce que le poisson remplace la viande, ou qu'on aime le gluant – les boules de mochi, les pâtes de blé collantes, ou même le riz ; mais aussi parce que les cuisiniers, lorsqu'on les aperçoit depuis les sièges des restaurants, sont plongés dans les vapeurs, et que les soupes jouent un rôle fondamental, qu'on se nourrit de liquides. (Et pourtant, le Japon, c'est aussi les biscuits secs et les bizarres chips aux légumes ou crevettes séchées, vendues sous plastique avec un sachet de silicate, afin d'absorber l'humidité.)
26 octobre 2008

 

Fatigué, très fatigué, je retourne en Chine, et reprens la migration. Je ne sais pas si c'est un effet secondaire du futon de Claire et de mes allergies, du anque de soleil – nuages permanents sur Tokyo pendant notre séjour – de la mauvaise humeur de Philip qui détestait Tokyo, de ma nostalgie, peut-être, à quitter ce lieu qui me rappellait Paris, et la France, et mon enfance. Ou le contrecoups de mes conférences, et de ma dernière intervention comme universitaire. Mais je suis très fatigué du Japon.
28/10/08

 

Sloterdijk associait perversion et collection. Je retrouve, dans la salle d'attente avant l'embarquement des ferrys pour central, les machines que nous avions vues dans un recoin d'Akihabara, où pour 100 à 200 yens (ici 10 ou 20 $) on achète un oeuf en plastique avec un personnage, une voiture, un port-clef, etc. Selon les petites affiches, chaque machine compte au moins cinq ou six oeufs différents. Je compte 94 machines dans la salle d'attente.

Elles sont importées du Japon – le prix en yens est indiqué directement sur le plastique d'origine, et l'indication locale 2*5 $ ajoutée sur un autocollant. Der-Yang nous parlait hier de cette manie japonaise pour la collection. D'après lui, des hommes de trente ans continuent d'accumuler les petits robots en plastique. Avec les bizarres perversions sexuelles, c'est l'autre trait connu des japonais. Der-Yang nous a raconté celui-ci, bien sûr, la source est l'amie d'un ami : cet homme qui revêtait une femme d'un costume de power ranger, et la pénétrait par une ouverture dans le costume, sans ôter le masque.
30 octobre 2008

 

Comme à Tokyo, tous les endroits passants de Hong Kong ont des distributeurs automatiques – il y en avait même sur le chemin reliant Hung Shin Yeh beach et Yung Shue Wan. On y vend même, comme à Tokyo, du pocari sweat et du Calpis. Comme à Tokyo, la ville est pleine de salons et d'instituts de beauté, promettant nouvelle jeunesse et plein d'énergie. Mais tandis que les japonais, sur leurs prospectus, montraient d'étranges images d'électrodes et de pinceaux lumineux posés sur des visages féminins étrangement souriants, j'ai vu sur les prospectus de Hong Kong des images plus habituelles de pieds flottant au milieu de pétales et de mains carressant un dos nu. Le corps se dérègle et doit être remis en place dans les deux pays, mais au Japon, c'est le rôle d'un appareillage technologique, tandis qu'en Chine, on le fait à la main, dans un décor de fleurs et de bambous. De même, ici, le rôle du costume est limité. Petites filles en robes de princesses, ou costumes de sorcières pour halloween ; mais les vêtements qu'on voit dans la rue ont pour fonction surtout de couvrir le corps sans l'étouffer.
11 novembre 2008

 

Nous trouvons, sur les bords de la rivière Saigon, vaguement aménagée pour la promenade, un distributeur automatique de boissons sur le modèle japonais. Nous pourrions en acheter, nous avons soif, il fait chaud ; mais la machine accepte uniquement les pièces, et nous n'avons que des billets, car le pays ne produit pas assew de monnaie métallique. Cycle de la pauvreté.

 

 

12 novembre 2008

 

Le Japon, modèle pour l'Asie ? Minh, l'amie de Viet, avec qui nous venons de prendre un verre, nous a raconté que les adolescents vietnamiens de Saigon – certains du moins, sans doute, issus de familles riches – imitaient les modes japonaises, et que le week-end, ils se rendaient en costume de mang dans l'étage du Diamond Plaza qui regroupe les galeries de jeux d'arcades. Emulant ces colonisateurs, plutôt que les occidentaux.

Minh ajoute qu'elle adore la nourriture japonaise, et qu'elle insiste toujours pour que les dîners ou les déjeuners professionnels se fassent au sushi bar. Il semblerait donc qu'ici comme en Pologne, en Chine, en Russie, comme en Californie, cet aspect du Japon soit apprécié par les jeunes riches dynamiques et beaux. J'en parle à Viet, qui résiste à mon analyse, et dit : « Sushi bars are not very chic. It's not a place you go to be seen. I've been there, it's normal. »
17 novembre 2008

 

A Phnom Penh aussi, la nourriture japonaise est signe extérieur de bon goût. Qiu Yi, dont le frère vivait à Tokyo, pour occuper ses soirées gastronomiques, a décidé d'établir un comparatif entre tous les restaurants japonais de la ville. Elle vient de nous amener, pour le repas de départ, chez le vainqueur, Origami, temple du bon goût, qui nous a servi sashimi, tempura, tofu surmonté de poisson sec et soupe miso. Le menu précise que tous les poissons sont importés.
19 novembre 2008

 

Dans une cour intérieure d'Angkor Wat, un jeune japonais sexy, débardeur orange, lunettes de soleil, tongs et cheveux pointus, pose au soleil sur un piédestal khmer pour son copain, plus mince, plus clair, en t-shirt jaune vif. Puis ils passent devant moi, je les entends parler, et reconnaissant le fort accent, je me rends compte qu'ils sont britanniques – ou peut-être australiens du sud – et pas japonais du tout.

A Ta Prohm, un autre groupe, sept ou huit personnes, identifiables cette fois sans ambiguïté par le langage du guide. Il parle des arbres, et de la façon dont ils ont envahi le temple. Une femme, intéressée, pose des questions, pousse une série de « aahs » et de « oohs » ou de « neehs », ponctuant les propos du guide. Elle porte un t-shirt imprié sur le dos duquel est écrit en lettres roses et noires « Dandyism is in in the frontal lobe » ; autour d'un crâne humain serti de faux brillants roses et blancs
20 novembre 2008

 

Les japonais sont la principale source d'aide internationale auprès du Cambodge. Ils financent la majorité des infrastructures dans la capitale, et la restauration de beaucoup de temples à Siem Reap. On en voit beaucoup en groupes larges ou restreints visiter les ruines ; autre signe de leur présence, à Lo Lei, au pied d'une stèle en briques, à côté de la pagode moderne, à terre, parmi les herbes, il y a deux morceaux de plastique transparent, chacun porteur d'un pikachu souriant.
21 novembre 2008

 

Alors que nous visitons le temple d'east Mebon apparaît un groupe de touriste asiatiques. « These Japanese people have so much stamina for their age », commente Philip en les voyant monter et descendre les marches abruptes. « Ils sont chinois », je lui fais remarquer. Tous portent des chapeaux de paille identiques, ils font de grands gestes bouffons, et parlent nettement plus fort qu'aucun autre groupe croisé jusqu'ici.
24 novembre 2008

 

Alors que nous retrouvons en Thaïlande l'univers consumériste asiatique, nous retrouvons aussi des signes du Japon dans les magasins. Ce matin, je suis allé chercher des gâteaux pour le petit déjeuner dans le 7/11 : assortiment de Deriyakis et petits beignets, les mêmes qu'à Tokyo, comme là-bas fourrés de taro, sésame noir, haricot rouge. Sur les emballages, les mêmes personnages de mangas, petites écolières et chats bleus souriants.
25 novembre 2008

 

Présence massive des marques japonaises à Bangkok – Japanese burger, kobe beef, restaurants de sushis, boutiques de mangas. Les thais rêvent-ils de les émuler ? Pendant la deuxième guerre mondiale, ils s'étaient bien alliés... Je retrouve en tous cas dans les deux cultures le même élément de politesse superficielle, couvrant un grand mépris de l'étranger. Mais pourquoi ce restaurant d'hamburgers, frites et coca se présente-t-il comme « japanese burgers »??
26 novembre 2008

 

Les japonais ne sont pas qu'un modèle pour la Thaïlande ; ils ne sont pas seulement des faiseurs de mode à l'influence magique, et que le reste de l'Asie chercherait à copier parce qu'ils sont cools, ou puissants. Ce sont aussi d'importants consommateurs, et peut-être les villes d'Asie s'adaptent-elles à leur goût pour qu'ils consomment sur place. Aujourd'hui, nous avons marché le long de Thanon Sukumvhit, après la station BTS Asok. Les panneaux n'étaient plus bilingues anglais-thaï, mais japonais-thaï. Face à moi, dans le couloir du centre commercial MBK, trois japonais parlent depuis tout à l'heure devant l'entrée du restaurant japonais. Plus tôt dans l'après-midi, dans le centre commercial gaysom, à l'étage antiquités-décoration, nous avons croisé deux gays japonais quarantenaires qui regardaient les coussins et sniffaient les produits de beauté. Nous remarquons une certaine ressemblance de la culture commerciale thaïe et de celle du Japon – saluts sonores et sourire de façade, accompagné d'un air de mépris : peut-être est-ce une façon de satisfaire les clients japonais, les plus profitables ?
28 novembre 2008

 

Au Japon, j'avais été surpris (choqué) de voir en vente à côté des mangas pornographiques des DVDs de très jeunes adolescentes en soutien gorge ou maillot de bain qui prenaient des pauses aguichantes. Mais j'observe maintenant, sur l'estrade montée dans le parc en face de l'école à Prachuap Kiri Kan, le corrollaire de cette perversion. Petits garçons et petites filles, habillés en costume de bal et maquillés comme des adultes excessifs, dansent en couple au son d'une musique douce. Un des mouvements de la chorégraphie voit les filles poser leur tête contre l'épaule de leur partenaire. Les parents qui regardent la scène poussent un grand « ah » collectif alors, excités peut-être par cette image de sensualité prépubère. Quant aux enfants, les filles adoptent des airs de pimbèches, ou de princesses, les garçons se prennent au sérieux comme elles et, sur la droite, une petite brune aux cheveux bouclés se déhanche, un peu trop  raide pour être sensuelle, en un mouvement qui ferait, sans doute, monter le désir de tous les pédophiles.
29 novembre 2008

 

Dans le 7/11 de Chumphon, après avoir croisé quatre hippies japonaises dans la rue, dont une à bonnet rasta, je vois tout un rayon d'algues frites, en grandes plaques ou découpées en lanière, en gros sachets à 39 Baht, en petites plaquettes à 5 bahts. Elles portent sur l'emballage de petits personnages comiques et mignon, sirène et tortue, petit garçon qui s'empiffre, ou chinois natté, mains jointes, vapeur qui sort des oreilles et goutte de sueur sur la joue, pour la version pimentée.
02 décembre 2008

 

Détail amusant sur les migrations japonaises, je lis sur un panneau du musée de Penang, à propos des différents groupes de migrants, que parmi les japonais, les femmes étaient les plus nombreuses : prostituées, geishas. Spécialisation du travail, donc, en Asie, les chinois venaient, mâles, comme travailleurs, puis s'installaient comme commerçants. Le Japon, après avoir éduqué les femmes dans l'art de faire palisir aux hommes, envoyait ses spécialistes de la vie nocturne où fleurissait la vie coloniale.

Je lis ailleurs que, pendant la guerre, alors que l'île était sous occupation japonaise, les Japonais firent ouvrir de nombreux lieux de divertissement, cabarets et dancings, encourageant la consommation d'alcool et, peut-être, la prostitution. Le but étant de distraire la population, de détendre une atmosphère empesée par les rigueurs de la guerre, les exécutions sommaires des criminels et délinquants, la soumission de ces commerçants urbains à la dictature militaire du conquérant. Pour pallier à l'absence de liberté – même à celle de pain – solution : les jeux.
10 décembre 2008

 

Exposition sur les « media arts » japonais à Singapour. Animations, mangas, mais aussi, plus intéressants, jeux vidéos et surtout poupées, jouets, robots. Je comprends pour la première fois que ces petits transformers en plastique avec lesquels je jouais enfant, chevaliers du zodiaque et figurines, étaient à la fois projection 3D de la bande dessinée, grâce à laquelle j'ai d'abord appris à lire, substitut de poupées, et petites idoles, humanoïdes, articulées comme un corps humain. Totalement sous mon contrôle.