China
29 février 2008
« Chine, Chine, Chine pata Chine, j’aime la Chine et les petits chinois. » C’est ce que j’ai chanté, chapeau de paille sur la tête, à la fête de l’Ecole, quand j’avais cinq ou six ans. Quelques années plus tard, Darhan est arrivée, prenant le relai de Véronique, et c’est une chinois qui me gardait, m’apprenant à manger avec des baguettes, que je demandais puis à ma grand-mère dans le sud, et ça l’énervait beaucoup, mais elle m’en donnait quand même, pour me faire plaisir.
Bizarrement, de Darhan, j’ai surtout le souvenir qu’elle regardait avec moi Santa Barbara, pour apprendre le français, mais aussi, dans mon souvenir, par véritable intérêt pour la série. Je me souviens aussi de l’appartement qu’elle avec son mari, dans une tour à l’Esplanade (à l’époque, c’était la première fois que j’entrais dans une tour, et je n’ai pas souvenir que ça m’ait beaucoup plu). Deux petits éléphants de jade qu’elle avait rapportés de Chine et qui sont restés chez mon père à Neuilly, puis se sont perdus. Le coupe-papier dans sa boîte en soie, que j’ai toujours et qui, je crois, se trouve déjà en Australie, dans la valise où j’ai glissé quelques autres objets, la bouillotte pingouin, la cigogne en peluche, quelques rochers, la boîte de thuya de Caroline, les pierres de Guyane rapportées par tata Nène, les bagues de ma mère, et les figurines en métal du British Museum.
A présent, j’ai des amis chinois – Ming vient manger la choucroute à la maison samedi soir – et je prépare un voyage en Chine, à travers le continent, comme Darhan, qui prenait un bus pour venir en France.
1 mars 2008
Beijing est au débouché des routes de la soie, Beijing est la capitale mongole, bâtie tardivement, mais à quelques kilomètres de la muraille, c’est une ville frontière pour l’empire du milieu, dont le centre est plutôt vers Wu Han, sur le cours du Yangzi, dans la province de Hubei.
3 mars 2008
Finalement, nous prendrons le transsibérien, puis le transmandchourien par Harbin. Harbin, le petit Moscou, le Paris d’Orient, ville occidentale. Comme les concessions de Qingdao, de Tianjin ou de Shanghai – ces morceaux de terrain chinois donnés aux occidentaux pour y développer l’industrie. Mais dans le cas d’Harbin, ville importante pour la Russie, car le train pour Vladivostok y passait.
Le voyage prend donc une nouvelle tournure : nous évitons les pays d’Asie centrale arabisée, les –stan pseudo-turcs ex-soviétiques, et leurs mosquées bleues et dorées, les soupes au mouton, le toit du monde et la ville la plus éloignée de la mer, Urumqi. Nous les évitons, comme je n’ai pas appris l’arabe avant de partir en Australie, mais le chinois. Comme nous évitons la route alternative, par les Balkans, la Turquie, puis l’Irak, l’Iran, le Pakistan, l’Inde et la Birmanie, d’où nous pourrions rejoindre Bangkok. Elle est un peu plus courte, mais dangereuse, et sans doute bloquée. Moins efficace. Et de même, la route de la soie, par Alamty puis Urumqi, quoique plus directe à vol d’oiseau, nous l’évitons pour des raisons politiques, parce que les trains d’Almaty jusqu’au Xinjiang sont parfois interrompus sans avertissement, que nous ne voulons pas nous retrouver trois semaines au milieu des steppes – au pied de l’Himalaya, sans pouvoir passer la frontière, à moins de débourser une fortune. C’est trop pour une migration. Donc Harbin.
Car nous évitons, du même coup, la route mongole, par Ulan Bator. Descendre en ville pour ensuite aller dormir en yourte, on évitera : non, le train de l’alliance sino-russe, le train présoviétique, le train de la guerre du Japon, le train qui met en lien, directement, l’Europe avec l’Asie par le pays transfrontalier, la Russie. Le train communiste, aussi, qui nous fera méditer, sans passer par la case Islam, sur les devenirs du communisme, et nous ne trouverons d’Islam que la partie orientale, à Java.
4 mars 2008
Qu’en est-il de l’industrie minière en Chine ?
21 mars 2008
Constante chinoise, écrit Piere Lévêque dans Empires et Barbaries : l’alliance de l’Empereur et des lettrés. Le système social est organisé pour que l’honnête homme cultivé ait accès à l’étude, et pour cela, les pauvres doivent payer des taxes. Ainsi, radicalité de la Révolution Culturelle, véritable révolution, la culoture et l’appartenance à l’intelligentsia, pour la première fois ( ?) devenaient stigmate.
Entre la Chine et la Russie, vastes zones de nomades, morbides, agiles, rapides et lançant des flèches. On a, pour les contenir, fait dresser la grande muraille.
29 mars 2008
Alors qu’en 1989, on célébrait le bicentenaire à Paris, et qu’à Berlin, le mur tombait sur la place Tian An Men, on lançait les chars contre les étudiants. Nouvelle frontière, alors, entre la Russie, qui se démocratisait, et la Chine, toujours communiste.
On a beaucoup pensé le communisme et la Révolution comme affreux totalitarisme. Est-ce que la montée de la Chine, aujourd’hui, n’est pas signe que la Révolution pouvait être, aussi, positive ?
(Il faudrait penser, en lien à la Chine, mon Saint Just).
27 avril 2008
Si nous avions choisi de passer par le Kazakhstan, puis par Urumqi, nous aurions rencontré le nord du monde musulman. Minorités : parmi les minorités chinoises, on trouve les musulmans d’Asie centrale, ainsi qu’une population de Hans musulmans ; dans les villes de l’est, on trouve des mosquées.
1 mai 2008
Ma Jian explore son pauys, dans Chemins de Poussière Rouge. Il s’enfonce à l’ouest, en direction du cœur, des racines de la Chine ancestrale. Il n’aime, apparemment, ni le Sud, ni la côté. Il veut partir à Lhasa, sur l’Himalaya. Très bien, mais pourquoi le continent serait-il plus vrai que la côte ? En quoi Xian est-elle plus vraiment chinoise que Shanghai, ou Chengdu que Qingdao ?
2 juin 2008
Obtenir un visa pour la Chine est plus difficile que prévu : il ne peut être délivré qu’un mois en avance, et il faut un billet de retour. Je n’avais pas prévu ça.
25 juin 2008
« Pour nous autres occidentaux, la Chine d’aujourd’hui est une énigme. » Ainsi commence le livre de Rampini sur Mao. Pourtant, Rampini n’est pas un idiot, il sait de quoi il parle, a longtemps vécu en Chine, etc. Mais d’où vient ce poncif, de l’autre incompréhensible, de la différence absolue, du mystèe chinois ? C’est cela que, moi, je trouve incompréhensible. De même que l’évidence avec laquelle on peut écrire « nous autres en occident. »
10 juillet 2008
Fini le roman de Yu Hua, Brothers. Malgré de nombreuses allusions à l’extérieur, il n’y est pas fait mention de la France. Mais les chinois regardent des séries télévisées coréennes, et font des manifestations contre le Japon, boycottent les marchandises japonaises.
Erreur : le personnage principal, Li Guangtou, homme d’affaires prospère, pour un dîner romantique avec Ling Song, la femme qu’il aime depuis longtemps, sert du vin rouge français, de 85. Il agit avec romantisme et élégance. Ling Song lui demande : « Où as-tu appris ces manières ? » « A la télé », répond-il.
13 juillet 2008
Dîner chez Ming. Témoignages de chinoises, Bei et Ming, sur le mariage : avec la politique de l’enfant unique, les gens n’ont pas appris à cohabiter. Ils ne veulent pas se marier, moins encore avoir d’enfants. Bei nous raconte une histoire : un couple s’était marié dans la matinée. L’après-midi, ils retournent à l’Hôtel de Ville. On leur dit qu’il faut attendre, au moins, le lendemain pour se séparer.
Formalisme : à propos du divorce, Ming nous raconte que la condition, pour pouvoir divorcer, c’est de ramener les deux contrats de mariage (un par époux). Les jeunes sont impulsifs, ils risqueraient de se séparer dès la première colère ; aussi, souvent, ce sont les familles qui conservent les contrats.
15 juillet 2008
Deux rencontres chinoises aujourd’hui. D’abord à 13h, déjeuner avec Nicolas Idier, rencontré lors d’un colloque sur les textes sacrés, thésard sinologue et qui coordonne un livre sur Shanghai pour Robert Laffont. Beau projet, historique, littéraire, essayistique. Amusant. Drôle de personnage, ancien étudiant de la Daxue de Dalian, qui adore Melbourne où il a passé un an de lycée. Belle place aussi : futur spécialiste français de Confucius, fin connaisseur de la Chine, il connaîtra tout le monde en France après la publication du livre, et alors que le pays monte, monte, monte. Belle carrière en vue. Je ne sais pas si, quand il a commencé le chinois, c’était déjà prévisible. Mais – rigolo – c’est à Melbourne, m’a-t-il dit, qu’il s’y est mis.
Après lui, Ming, qui nous a rédigé deux lettres d’invitation, pour Philip et moi, et propose, adorablement, de nous faire héberger à Pékin et Shanghai. Heureusement d’ailleurs, car il semblerait que les paralympiques se poursuivent à Pékin jusqu’au début du mois d’octobre, et qu’on ait du mal à trouver un hôtel à Pékin.
29 juillet 2008
J’ai visté hier le petit Barrio Chino de Santo Domingo. Création récente – un an, deux ans, il présente les deux portes traditionnelles, mais aussi des statues de Sun Tzu, de l’homme aux masques, et du dieu de la prospérité, en métal, avec de petits panneaux explicatifs.
Restaurants nombreux, même ailleurs dans la ville et dans les provinces. En passant à Higuëy, j’ai vu qu’on servait, comme ailleurs, la comida criolla e cina, variation sur le pollo e l’arroz.
Plus intéressant, le fait que « le chinois » soit, en occident, le représentant attitré de l’asiatique, comme le parisien représente le français. Dans les supermarchés Sun Fat et Hong Kong, je cherchais de la pâte Tom Yum (que j’ai trouvée, mais pas celle que je prends d’habitude), et du thé japonais Sencha. Sans un brin de honte ou de réflexion, j’ai même demandé à une asiatique adolescente, dans les rayons, s’ils en vendaient. « I don’t speak Spanish », me dit-elle. Je pense, pour les employés d’un supermarché, c’est le comble. Elle m’accompagne, et passe en revue les boîtes de thé. « Sencha ? » On finit par trouver quelque chose qui, de couleur, pourrait en être, et juste à côté, du Genmaisha. « Xiexie », « Bukeqi ». Je vais payer, puis je vois, en prenant mon sac à la sortie, que ma jeune fille paye aussi quelques achats. Je me sens un peu bête.
30 juillet 2008
Dans le Faro a Colon, magnifique collection d’art chinois… léguée par la République taïwanaise. Je ne sais pas encore si la Chine populaire est présente. Au début de l’exposition, panneau sur les voyages maritimes, avec des maquettes de bateaux. J’ai feuilleté, quand j’étais à York, un livre d’historien sur la découverte de l’Amérique par un navigateur chinois, près d’un siècle avant Colomb. Je sais qu’il est controversé. Mais j’aime l’idée de cette double appartenance américaine, à l’Europe par l’est, à l’Asie par l’ouest. Et donc, il n’y a pas de course vers l’ouest et le nouveau, selon cette lecture, mais simplement, dans les plans originaux, cet obstacle au milieu de la route vers l’Unde. Et comme 1492 signe l’entrée dans les temps modernes, une rupture, si la remise en question de cette date (car, à part les chinois, on parle de plus en plus des Vikings, du Vinland, etc.), signifiait aussi, le passage à l’ère suivante, après les Temps Modernes ?
8 août 2008
Ouverture des JO de Pékin. Je suis à Punta Rucia, sans télé, sans radio, sans internet, et n’ai pas pu voir la cérémonie d’ouverture. On a dit hier soir qu’il y avait eu tremblement de terre. Je n’en sais rien non plus. Je ne sais même pas, avec le décalage horaire, quelle heure ou quel jour on est, à Pékin.
16 août 2008
Dans Le Mandarin, Eço de Queiroz décrit un pacte avec le diable. Un fonctionnaire portugais – rentier d’une grande ville occidentale – met à mort d’un coup de clochette un vieux mandarin chinois, qui n’a plus d’intérêt pour l’humanité, dans le but d’hériter de ses millions, et de jouir des plaisirs du monde.
A présent, la scène se joue tous les jours, mais de façon plus démocratique : on met à mort non seulement les mandarins, mais aussi les enfants, les classes moyennes, de Chine ou d’ailleurs – même de Naples et Valenciennes – pour que rentiers capitalistes et retraités de Paris, Londres ou Phoenix puissent tranquillement jouir de leurs 10% garantis.
28 août 2008
Lu dans Le Monde Diplomatique, un long article sur le développement de la marine chinoise, et sur les stratégies diplomatiques et géopolitiques développées pour assurer les approvisionnements, surtout en pétrole. De vastes zones maritimes, sur la carte, sont colorées, signifiant qu’elles sont sous contrôle de tel ou tel pays. Je dois me renseigner sur les lois qui s’appliquent, j’en suis curieux. Jusqu’où s’étend le pays dans la mer ? Ajouter cela, donc, à ma réflexion sur les frontières : les frontières maritimes, et la possession des archipels, y compris de rochers inhabités, qu’est-ce que cela signifie, précisément, concrètement ?
2 septembre 2008
Eglise Saint Michel, à Dijon : je feuillette le magazine « Il est vivant » sur un pupitre, et trouve un article intitulé « Chine : une grande moisson de foi », sur la situation des Eglises chrétiennes en Chine. Tout à l’heure, j’ai passé plusieurs restaurants chinois (dont un amusant « all nem »), ainsi que des magasins de produits orientaux, robes chinoises et bâtons d’encens.
4 septembre 2008
Contacté ce matin le service consulaire de l’ambassade de Chine. On m’a dit que je pouvais obtenir un visa sans billet de sortie. Sans doute le durcissement tenait-il uniquement aux Jeux Olympiques ? J’espère.
7 septembre 2008
Visite de l’exposition China gold. Pas vraiment bouleversant, pas mal de pop politique pour plaire à l’Occident, ready made sans grand intérêt. Mais, remarquable surtout, la présence d’enfants, d’enfants soldats, qui s’administrent des fessées ; de sculptures de bébés à grosses têtes. D’une adolescente multipliée, devant une pagode, enceinte et, à seize ans, montrant toute une palette d’émotions. Ou encore, en vidéo, un enfant lisant, à Pékin, un discours qui relate l’histoire officielle de la Chine : grandeur passée, renouveau, croissance économique, etc. Cela, cet intérêt pour l’enfance, est la chose qui me frappe le plus – et je crois qu’on peut y associer deux autres caractéristiques : l’humour, le caractère drôle de beaucoup d’œuvres, et quelque chose comme une « esthétique du mignon », qui relèverait plutôt de l’esthétique populaire chinoise et, peut-être, plus généralement, asiatique, un travail du kitsch, mais qui s’adresse à l’enfantin : pandas, bébés souriants, néons, visages aux traits exagérés – représentation de la vie comme un dessin animé.
8 septembre 2008
Ce matin, j’ai déposé les passeports à l’ambassade de Chine pour les visas. Stress. Longue queue, numéros à prendre, on me dit que la machine ne fonctionne pas, je rentre dans une autre pièce, je vois qu’on appelle par numéro, je vais voir un homme qui contrôlait l’accès, je lui dit, « je n’ai pas pris de numéro, mais j’ai fait la queue », il me renvoie vers mon siège, alors, je me tourne vers une femme qui me suivait, pour lui demander si elle a son numéro – c’était l’homme à qui je m’adressais qui les distribuait. Elle m’accompagne, lui explique, il hoche la tête, puis m’accompagne à l’accueil : en fait, il ne parle pas français. Quand j’explique à la jeune fille de l’accueil ma situation, elle traduit, et l’homme me tend un papier. Numéro 71, j’aurais dû recevoir le 64, bah, ça marche assez bien, les guichetiers sont efficaces.
Angoisse aussi : je demande un visa double entrée, la fille de l’accueil me dit qu’on ne peut pas en obtenir, mais la guichetière qui prend mon dossier dit « double entrée ? » et ne semble pas m’indiquer que se soit impossible. Je demande si mes billets de sortie par Hong-Kong sont valides, elle me dit « oui » ; on m’avait indiqué, au téléphone, que je n’avais pas besoin de billets de sortie, contrairement à ce qu’indique le site internet, bref, confusion totale, données contradictoires.
C’est d’autant plus angoissant qu’en sortant, je suis passé maison de la recherche, et que l’Antillaise incompétente qui, vendredi, m’expliquait qu’elle ne savait pas où se trouvaient mes pré-rapports de soutenance, m’a dit qu’ils étaient défavorables, et que je ne pourrais peut-être pas soutenir. Cotte est injoignable, on ne m’envoie pas les rapports en question, bref, l’incurie de l’administration française fait un écho désagréable à l’absurdité de l’administration chinoise.
15 septembre 2008
Je viens d’obtenir nos visas chinois ! Deux fois double entrée, valides jusqu’au 8 décembre, et pour deux fois trente jours. J’avais fixé sur ces visas toute l’anxiété du départ, et me représentais l’administration chinoise comme une sorte de dragon qui ferait capoter le voyage, le départ pour l’Australie, toute ma vie. Finalement, le caissier, souriant, m’a demandé 93 euros, j’ai donné cent, il a déplié les billets, les a passés dans la trieuse, a rendu la monnaie ; puis m’a donné le petit papier blanc du reçu, tamponné de rouge « Ambassade de la République Populaire de Chine en France, service consulaire ». Je suis passé, sur la gauche, au bureau 8, retrait. La dame gantée de plastique blanc, sans me regarder, m’a fait passer les deux passeports unis par un élastique, avec le « pickup form » agrafé sur le milieu, par dessus. N°11728190. Et j’ouvre, et je vois les visas !!
17 septembre 2008
Au 17/09/08, 10 yuans valent un euro. Mais 11$ de Hong Kong. Les deux monnaies ne sont pas strictement alignées. Autre bizarrerie de ces « deux régimes, un Etat » (ou l’inverse ?)
20 septembre 2008
Dans le train pour Berlin, de retour des toilettes, le contrôleur en plein dialogue avec deux asiatiques, me demande « vous parlez anglais ? » Il me montre leurs tickets, des passes eurail 8 voyages, et m’explique que, pour les trains de nuit internationaux, on inscrit la date du jour d’arrivée – c’est plus intéressant – et qu’ils doivent inscrire le premier jour et le dernier. Je l’explique – je traduis plutôt en anglais – et le Chinois regarde interloqué. Je me rends compte que je ne sais pas non plus ce que veut le contrôleur. Il me refait les explications ; je me rends compte qu’il veut seulement leur expliquer que le système est efficace et favorable aux passagers. J’essaie alors « Ni shuo zhongwen ma ? Wo shuo yidian zhongwen. » Et j’essaie d’expliquer quelque chose. Mais je ne me souviens plus comment on dit « devoir » : hui ? Non, c’est la capacité générale. Keyi ? Pouvoir. Xiang ? Désirer. Yao ? Volonté forte. Et je cherche mes mots. Le couple allemand, dans le compartiment, qui me regardait impressioné, se met à rire. Le chinois m’explique des trucs, je ne comprends rien. « Et shi » quelque chose, mais vingt quoi ? Puis je comprends rétrospectivement, « er shi si », 24h. Il veut savoir si c’est valide 24h. C’est bien, pour faire d’autes voyages. En bref, souvent, les problèmes linguistiques sont pragmatiques. Ici, dûs à l’imbécilité du contrôleur.
Je me dis toutefois : qu’est-ce qui m’attend en Chine ???
21 septembre 2008
Voix en chinois pendant la nuit.
22 septembre 2008
A Shanghai, des juifs ont émigré, pour fuir l’Allemagne. Il n’y avait aucunes restrictions à la migration, ni visa, ni besoin d’argent. Vingt mille personnes se sont installées là-bas, par train ou par mer.
On retrouve peut-être, dans l’idéal du Kibboutz, quelque chose du retour à la terre prêché par Mao dans la Révolution Culturelle.
24 septembre 2008
Conséquence amusante de la population chinoise : nombre de chiffres que Zhinan, d’Harbin, m’envoie par email.
30 septembre 2008
Ayant traversé la Sibérie, je comprends mieux pourquoi les vieux empereurs ont fait édifier la muraille, pour se protéger non seulement des hommes sauvages qui les attaquaient du Nord, mais aussi de toutes les forces désordonnées, terreurs obscures, esprit errants, créatures hurlantes et fabuleuses qui, depuis l’étendue du nord touchant à l’Arctique, auraient pu ravager l’ordre précaire instauré par les civilisateurs chinois dans le cercle de leur territoire.
1 octobre 2008
Avant la frontière chinoise, on nous fait remplir des fiches d’immigration. Les informations portent exclusivement sur notre état de santé. Sous notre signature, il faudra donner notre température.
On franchit deux structures en béton, les portes de l’amitié. Du côté chinois, deux lions, un jardin. Puis les contrôles : des femmes souriantes, qui font effort pour nous parler anglais. Changement de régime, tout à coup. Depuis le train, vue de la ville : gratte-ciels, néons, impression d’être, enfin, de retour dans un univers urbain, développé. « Welcome to the economy », dit Philip.
Deux militaires en manteau d’hiver élégant passent dans le couloir. Le second s’arrête, entre dans la cabine, regarde et fait signe qu’il aime la décoration. Puis il demande à Philip de quel pays nous venons. Sourire charmant, il est adorable « I like how they’re behaving like humans », commente Philip.
2 octobre 2008
Après le vide sibérien, la Chine, même au fin fond du Dong Bei, semble un gigantesque jardin. Changement majeur de centre : ici, les gens voient tous les jours Shanghai à la télé.
Harbin. Etrange impression d’absolue familiarité. Naples. Etals de fruits et légumes dans la rue, poireaux qu’on vend à même le macadam, raisins, pommes, pastèques et grenades. Restaurants. Densité : des gens, des gens, des gens. Néons qui flashent, aussi. Puis le mélange de curiosité sans gêne, et d’extrême serviabilité. Nous devions appeler « Linlin », pas moyen d’acheter une carte de téléphone (personne ne semblait savoir où elles se vendent). Un couple de jeunes à qui nous posons la question, nous prêtent leur portable. Ils attendent ensuite avec nous dix minutes qu’un ami de Linlin vienne en taxi de l’université nous amener jusqu’au dortoir où Linlin a réservé deux lits. Félix, l’ami, finit par arriver, nous remercions nos aides d’un savon français (ils nous ont offert une petite saucisse, et deux bouteilles d’ice tea). Félix nous amène à l’université, à pied (les taxis refusent de nous prendre, on va trop près). Puis, nous ne pouvons pas avoir de lits, car il n’y en a plus que trois dans une chambre de quatre où doit déjà dormir un chinois, et les étrangers ne se mélangent pas aux Zhonguoren pour la nuit. Félix reprend nos sacs, et nous emmène dans un petit hôtel familial à huit euros la nuit (pour deux), juste à côté de l’université ; donne son nom comme contact à l’accueil, et paie la caution (j’avais laissé la même somme, 300 yuans, à l’université, qu’il va récupérer). Bref, même impression de bordel, d’intelligence, et de chaleur humaine qu’au bord de la Méditerranée. Je suis chez moi.
3 octobre 2008
Harbin : dans la rue piétonne et marchande, un panneau annonce les domaines dans lesquels Harbin excelle. Première annonce : « Harbin has the biggest breeding centre for wild Siberian tigers in the world. »
Zhongyang Dajie : au balcon de l’édifice néoclassique où se trouve le magasin de fourrures NE tigers, un goupe de rock joue, sans les voix, la musique d’ « hotel California ». tout à l’heure, dans les vitrines, des mannequins vivants déhanchés présentaient les modèles de la collection d’hiver, manteaux de fourrure noirs, gris et rouge vifs. A quelques rues de là, dans un château gonflable, une femme en costume ethnique vert et rouge chante un morceau qui rappelle le Moyen-Orient – musique ouïgoure, ou mongole ???
Sur les affiches publicitaires, les femmes ne font pas la moue, mais sourient, prêtes à rire, y compris d’elles-mêmes. Dans un shopping mall, des parapluies rouges ouverts, pendus à l’envers (un garde approche de Philip et lui signale qu’il ne peut pas les prendre en photo). Dessous, des lits à vendre. Une famille d’oies en peluche géantes est confortablement installée sur l’un d’eux.
Un vendeur musulman, petit chapeau blanc sur la tête, vend des fruits secs au carrefour devant la cathédrale orthodoxe. Une fille passe, un bouquet d’ours en peluche emballé de papier rose à la main. Quelqu’un me regarde écrire.
4 octobre 2008
Intelligence et bonheur chinois, qui passent par une infantilisation générale de la population. Cet après-midi, nous sommes allés sur Sun Island, un lieu de divertissement sur un île, de l’autre côté du fleuve Song Hua. Ballade en tandem à trois, d’abord, avec Eddy, fabuleux petit gars d’hospitalityclub. Ensuite, visite au parc, où nous avons visité le « naive bear paradise », mini parc d’attraction pour enfants (et couples), avec d’énormes ours en plastique souriants. Plus loin, l’île aux écureuils, le lac des cygnes, et la colline aux daims. Les poteaux et les champignons en plastique verts et rouges diffusaient de la musique sirupeuse en continu. Les jeunes filles en bottes et jeans brillants se faisaient prendre en photo devant les légumes, chaussures et ruines en plastique, une jambe levée, sourire aux lèvres.
Idéal communiste ? Une île aux enfants perpétuelle, où tout le monde vit sa vie comme un mélodrame ? Il y a de cela. Différence avec l’Italie du Sud, donc : moins de livres et moins de discussions politiques, infiniment. Par contre, impression que les gens, dans les rues et sur les panneaux publicitaires, sont heureux de vivre en Chine.
Dans la soirée, bar gay, guidés par Eddy : souterrain, moins clandestin que je n’aurais cru (néons sur une grande rue). Spectacle travesti, fabuleuse lesbienne à lunettes rectangulaires rouges et short marron, qui descendait une jarre de bière. Deux mafieux, comme dans les films de gangsters, se caressaient le dos et la jambe. Ils ont offert un cocktail à 100 yuans, préparé sur scène par un barman expert, à deux adorables lesbiennes, assises derrière un poteau. Le plus riche des deux, lui, buvait du thé vert en bouteille.
5 octobre 2008
Sur un pont, pieuvre grillée. Puis dans un restaurant, chien vapeur à la confiture… le plat ressemble, exactement, à du canard laqué… si ce n’est que la peau est plus épaisse. La viande est gélatineuse, légèrement écoeurante… si ma mère voyait ça ! Philip se rend compte, à la fin du repas, que nous sommes assis sur des coussins où sont dessinés deux adorables petits chiens.
Plus tard, à la recherche d’une paire de jeans pour Philip, Eddy nous entraîne au deuxième sous-sol d’un marché souterrain, nous passons échoppe sur échoppe sur échoppe de jeans et sportswear, les petites boutiques sont pleines à craquer de marchandises, accrochées au mur sur trois rangs, sur des cintres, et mises en tas, tout emballées de plastique, partout dans les magasins. Nous franchissons donc ce tunnel infini, descendons encore quelques marches – espérant trouver la sortie – et nous retrouvons dans un nouvel espace marchand, des cloisons blanches délimitant de petits espaces de vente carré, comme dans les foires exposition. On ne vend que des jeans et des pantalons noirs. Des groupes de femmes sont assises, vêtues de noir, et j’imagine, infernal scénario, que nous n’en trouverons jamais la sortie, que nous passerons notre vie dans la galerie souterraine de Harbin, errant parmi les échoppes de sportswear.
6 octobre 2008
Hutongs de Beijing : touristes, échoppes à la mode, centre-ville retapé, magasin de tatouages et d’art africain, sacs à l’effigie de Mao, cafés, vendeurs d’encens. Sentiment d’être en quelque sorte, dans un centre-ville bobo de métropole occidentale ; si ce n’est que dans la carterie, un grand perroquet blanc, dans la vitrine, mange un quartier de pomme. A côté, temple taoïste fraichement rénocé. Le panneau touristique indique que les habitants de ce bâtiment, pour la rénovation, ont été évacués.
Face au lac, un grand bar-lounge entièrement vide, avec des sièges bordeaux confortables : « lazy bar », nom peut-être mal choisi, mais symptomatique. Plus loin, nous nous asseyons à la terrasse d’un starbucks, « xing ba ke ».
Dans le lac, tojours, un homme attrappe une tortue à l’épuisette. Un petit chien blanc le suit. Tout à l’heure, un autre homme nageait entre les pédalos, bonnet de bain rouge sur la tête.
Ming nous explique les principes du Feng shui. Partout en Chine, on se repère aux points cardinaux. Les rues et avenues changent de nom, devenant « Bei » ou « Nan », « dong » ou « xi », soit nord, sud, est et ouest. On organise aussi la maison d’après ces quatre points cardinaux. Principes du Feng Shui, bloquer le vent du nord, orienter la maison vers le sud. Autre détail, les panneaux des bus, à Beijing, donnent en kilomètres la ditance entre les arrêts. Selon le kilométrage, on paie plus ou moins. Un yuan pour les douze premiers, puis 0,5 par 5 km. Une ville pour boy scouts.
7 octobre 2008
Au starbucks de Beijing est, où je prépare mes conférences japonaises, on me sert un expresso meilleur qu’en France. La clientèle est cosmopolite ; il y a, de l’autre côté de la rue, un « Schlotski’s deli » qui vend des sandwichs chauds et du « balsamic vinegar ».
Pour déjeuner, Ming nous emmène dans un food court, « Ya show good taste world », au dernier étage d’un grand magasin. Thé amer froid, yaourt sucré à la paille, et raviolis dont on choisit la garniture. Je commence à m’habituer aux prix chinois, et me dis « 12 yuans (un euro vingt) pour dix raviolis, c’est beaucoup ! Le yaourt est à trois yuans.
Dans le parc du temple du ciel, une centaine de personnes tapent dans leurs mains, guidés par une femme qui scande des instructions : « C’est pour la bonne santé », nous explique Ming, pour stimuler quelque chose au niveau des côtes. Ils ont tous le sourire, et sont en rythme. Ming nous explique, un peu après, que le membres de Falungong avaient les mêmes pratiques. « Mais maintenant, Falungong, c’est interdit. » De petits airs de saut yogiques et de méditation transcendentale.
Contre un arbre, deux personnes dos à dos font un « exercice de rire ». Ils ressemblent à deux ours contents. Ming veut faire la même chose, quand elle aura l’âge.
Parlant des temples latéraux, Ming nous dit « Non, ce n’est pas taoïsme, ça c’est les dieux qui n’existent pas, c’est juste les noms. » Elle explique ensuite que Confucius et Lao zi sont très très connus ; car ce sont les premiers grands professeurs. On commémore, donc, les premiers grands enseignants, matrices de la culture.
Pays magique : les lampes font de la musique, les chamignons parlent. La technologie fait de l’environnement urbain un gigantesque spectacle.
La technologie protège aussi l’environnement : beaucoup de lampadaires ou d’équipements urbains sont surmontés de panneaux solaires. On fait aussi du tri sélectif dans les poubelles de Beijing.
Dans la soirée, deux heures ou presque à prendre le bus pour aller de Tian An Men Square à notre hôtel. Ming s’est quelquefois trompé ; tout de même : nous logeons dans le quartier des ambassades, à l’intérieur du troisième anneau, soit au centre de Pékin. Mais tout ressemble à une gigantesque banlieue post moderne amplifiée : bâtiments, parcs et rues sont immenses… et neufs. Je montre un bâtiment, Ming me dit « ça, c’est ancien, c’est dans les années 80, plus de dix étages, comme celui-là – elle en montre un autre – c’est les années 90. »
8 octobre 2008
Cité interdite, à gauche, dans la première cour, un terrain de basketball, où personne ne joue. Ming nous explique qu’il est pour les soldats qui tous les soirs et chaque matin, descendent et lèvent le drapeau. Plus tard, dans la queue pour l’entrée, nous croisons un groupe de bouddhistes en costumes traditionnels des montagnes. Idéal hippie, je pense ; puis les regardant, je me dis qu’ils ressemblent exactement à des hippies. Plus tôt, nous avons vu passer une dizaine de huis, chinois musulmans, bonnets blancs sur la tête et femmes voilées.
Face aux calligraphies, sentiment de plus profonde aliénation. Tout à coup, je suis dans un autre monde. Ce passé m’est étranger. Je vois un jeune chinois qui lit une page d’ancienne calligraphie, manifestement avec émotion. Je reste absolument imperméable, et dois m’avouer que je n’y comprends rien du tout. Que même si j’apprenais à déchiffrer, je resterais sans doute imperméable à l’harmonie du trait, des peintures de bambou, et de la description par touches linguistiques éparses d’une goutte qui tombe, un soir d’automne, dans la rivière.
Cependant, ce n’est pas nécessairement pure aliénation culturelle face à « la Chine ». Au Musée d’Orsay, je m’ennuie, ne suis guère visuel. Et serais sans doute presque aussi barbé par une exposition des premières éditions de Ronsard ou La Fontaine. Ces chinois qui s’extasient devant les vieux parchemins, sans doute, font aussi cela par bonne conscience culturelle. Ils n’ont pas l’air si différents de nous.
Continuïté, peut-être : on est déjà dans la société du spectacle. On peint des scènes de nature, paysages, oiseaux, montagnes ; on glisse un poème rêveur dans un coin : le monde devient objet de contemplation, rêverie, plaisir et spectacle, rêverie tandis qu’on en observe les mouvements, comme détaché. Art d’élites contemplatives, sans prise, anhistorique. Je suis plus touché par Claude ou Poussin qui, du moins, dans leur paysage, peignent le moment du drame. Ces paysages Ming, Song et Qing représentent un univers sans histoire, où le lettré vient inscrire au creux d’une montagne un charmant poème, tandis qu’en face, un paysan trime et sur pour labourer la terre qui va nourrir le lettré : tout cela n’est-il pas fabuleusement harmonieux ?
Il fait un temps radieux. Depuis la Cité Interdite, on a pu voir un morceau de la muraille sur une montagne à l’horizon. Nous n’irons pas, nous l’avons déjà dépassés. Paradoxe toutefois : le centre de l’Empire du Milieu se trouve à cinquante ou soixante kilomètres au sud du mur frontière.
Les échanges se font toujours dans plusieurs sens. Le 18e siècle européen voulait des chinoiseries ; la cité interdite possède une « salle des horloges », pleine de montres et d’horloges anglaises ou suisses, du 18e ou 19e siècles.
Briques laquées jaunes de la Cite Interdite au soleil de l’après-midi : plus belle couleur que j’aie vu. Les murs peints en rouge font une superbe lumière dans les nombreux passages entre les cours : Labyrinthe rationnel, symétrique, et beau.
Délicieux thé Kou Ding Cha, thé amer.
9 octobre 2008
Acheté nos tickets pour Shanghai, 332 yuans par personne. Impossible d’acheter Shanghai-Hong Kong à Beijing : il faut acheter les billets dans la ville de départ. De même, les cartes téléphoniques sont régionales. On n’est pas vraiment censé circuler dans le pays.
En route vers le 798, nous descendons du bus. Ming demande son chemin à deux balyeurs qui disent « trois stations plus loin ». Ming nous dit « il faut marcher, je pense qu’ils connaissent les taxis, c’est pour ça qu’ils nous disent ça. »
Au « Pause-café » d’à côté, on me sert un expresso correct, apporté sur un petit plateau avec un verre d’eau, à l’occidentale, pour 18 yuans. Mais le garçon ne pense pas à mettre du sucre, et Philip doit attendre encore 5 minutes pour son café au lait, gigantesque tasse mousseuse, 25 yuans.
Vues industrielles, cheminées d’usine, « art café », statue d’un transformer, main de métal dressée vers le ciel, pieds-roues, phares avant torse.
10 octobre 2008
Secret, peut-être, de la Chine : on raconte que les gens travaillent dur, mais en vérité, la productivité ne suit pas. Vingt minutes pour servir un café, des balayeurs qui poussent feuille après feuille ; sans parler des taxis qui ne savent pas où ils vont. Même Ming semble totalement incompétente professionellement, et malgré ses nombreuses relations, n’a pas l’air de vouloir trouver un travail, ou savoir comment s’y prendre. Alain, notre hôte de couchsurfing, philippin, professeur d’anglais, nous dit qu’il n’est pas du tout stimulé intellectuellement par ses étudiants, qui croient tout ce qu’il leur dit, sans jamais rien remettre en question. Conséquence du système communiste, ou caractéristique de Beijing, ville du pouvoir et du contrôle des esprits ? Quoi qu’il en soit, la chose est épuisante.
Heureusement, quelques découvertes, ainsi le café sur le toit, dans la zone 798 où nous sommes revenus aujourd’hui (notre hôte habite à côté), et le travail des frères Gao, dont Philip feuillette un catalogue : performances, installations, nudité, religion, travail du symbole. Un étage plus bas, une américain s’extasie.
Nostalgie d’Europe : Moussaka dans un restaurant grec de l’espace 798. Couteau, fourchette ; tomates, fromages ; pain, huile d’olive. Peintures grecques au mur, fond sonore de sirtaki. Première fois que je pense, fortement, « sick of Asia ».
11 octobre 2008
Canard laqué grand style, Da Dong : Ming nous a trouvé ce fabuleux restaurant, juste à côté de l’auberge où nous logions. Rituel de la peau, petites crèpes, présentation de la tête ; puis on nous sert un trou normand à la pékinoise, glace à la courge et crème de tofu, puis jujubes et melon sur lit de fumée.
Vers 4 heureus, je me suis installé dans un tea house juste à côté de ce restaurant. Très chic, terriblement chic. A ma droite, un aquarium mural me sépare de la rue. De l’eau coule le long de la muraille, agitant la surface de l’aquarium. A ma droite, encadrement de bois sculpté, grande plante en pot, salle rouge. Un chinois d’une trentaine ou quarantaine d’années est assis là, téléphone portable à la main, toute une série d’instruments complexes devant lui. Je ne suis pas rentré sans hésiter : Ming est avec une copine, Philip suit quelqu’un, je passe l’après-midi seul. Mais j’ai voulu tenter – j’aimais cette muraille d’eau, j’avais besoin de calme et de repos, je ne voulais pas attendre une heure et quart au bord de la voie rapide le rendez-vous de 6h30 avec Ming, ou m’installer dans le starvucs du Pacific Mall. Le chinois me regarde, intrigué – j’ai sans doute commis déjà quinze faux pas majeurs, quand les trois serveuses en robe longue m’ont proposé « lu cha », et que j’ai demandé juste un verre de thé amer de Hainan. Tant pis, je suis là, j’ai mon carnet à la main, mon livre, et j’ai l’impression de découvrir quelque chose. On est bien, dans ces salles de thé.
Les toilettes du salon de thé sont, du sol au plafond, couvertes de mosaïque or et noir. Au centre, la fosse émaillée des chiottes à la turque, avec la marque en lettres dorées : Toto. Sur la cuvette, une ligne de marron, trace d’un précédent passage. Aucune brosse à disposition pour l’effacer. Même dans les endroits les plus luxueux, donc, le sale reste sale : j’ai fait la même expérience à midi, dans le restaurant de canard laqué.
Dernière soirée : restaurant italien, Gino café. Musique gitane en boucle (lai, lo lai lo lai), pizza, pâtes et poulet méditerranéen. Dehors, devant le stade des travailleurs, des quarantenaires et cinquantenaires dansent la salse : mouvements plutôt militaires, peu de déhanché. Une femme en bleu, toute seule, sautille sur place avec un grand sourire.
12 octobre 2008
Enfin, dans le train pour Shanghai, depuis deux heures. Crise de grande hystérie dans la nuit ; Philip et moi, hier soir, complètement à bout. Mal au ventre, et ce matin, j’ai vomi ma pomme et mon demi poulet dans les toilettes de la nouvelle gare sud. Littéralement pas digéré les expats de Beijing. Le train traverse un paysage qui rappelle exactement la Provence industrielle : on pourrait être en grande banlieue de Marseille, pour les collines sèches notamment. Pas étonnant que les Chinois se comportent comme des méditerranéens : leurs paysages sont identiques.
Plus au sud, les paysages évoquent plutôt ces coins abandonnés de la Vénétie qu’on traverse après Vicenza lorsqu’on prend le Stendhal, ou la Lombardie. Terre grasse et plate, nombreux cours d’eau, quelques rares collines, bourgs denses et serrés, cheminées d’usine. Tout cela manque terriblement de rizières, de pagodes et de […]
Un écran de télévision, dans le train, diffuse en continu la même séquence de quinze ou seize minutes : deux chansons célébrant les Jeux Olympiques, une publicité montrant l’arrivée de la flamme et les athlètes courant, nageant, sautant, puis un dessin animé dans lequel les mascottes-jouets – surtout Jingjing – entraînent à la boxe deux aliens verts. Dehors, je vois des maisons neuves, assez jolies, blanches, un étage, étroites, avec sur le toit les animaux traditionnels qu’on voyait aux toits de la cité interdite et des façades de restaurants style Ming.
La lumière est poudrée, deux ou trois heures avant le coucher du soleil, poétisant la vue d’un double réacteur atomique sur la droite. Pollution dense, probablement, mais l’effet n’en est pas laid. C’est, encore une fois, comme l’Italie du nord, un jour de brume, au lever du soleil.
Traversée nocturne du Yangzi. Beaucoup de gens, debout, s’apprêtent à sortir. Nous essayons vainement, à la lueur des néons, d’apercevoir le mur médiéval, qui devrait courir, d’après la carte, à la droite du train, juste avant la gare.
13 octobre 2008
Shanghai : proportions à l’européenne – taille des rues et des immeubles. Bâtiments de couleurs vives (rose, vert). Linge aux fenêtres. Platanes. Amusant : les bâtiments sont organisés comme de mini-quartiers : une entrée sur la rue, gardée par un homme à brassard, puis des séries de bâtiments d’habitation à cinq ou huit étages, avec des passages arborés, des cages à piegons sur les balcons, de petites cours privatives entourées de murs pour les appartements du rez-de-chaussée.
Près de la pharmacie où Ming achète des pastilles pour la gorge, une femme en robe élégante à rayures grises et dégradées de mauves parle avec un homme assis dans une langue plus aigüe, plus animée, plus nasale et plus légère qu’au nord. Il fait chaud, nous sommes en chemise, l’air est doux, les gens sourient et marchent plus lentement. On passe à côté d’un supermarché dia.
Dans le petit restaurant de rue où nous mangeons des nouilles sautées, les deux cuisiniers-serveurs – dont l’un, tout en noir, air détacé, pourrait tout aussi bien travailler dans un bar à la mode du 10e arrondissement de Paris – s’échangent des paroles en anglais : « oh yes, oh no, oh yes, oh no », puis se mettent à rire en chinois. Ce garçon pourrait être le personnage principal d’une comédie romantique, Corner with love, série taïwanaise que je regardais à Paris, avait un héros similaire, dessinateur taïwanais, qui rencontre une riche héritière et la séduit à coup d’omelettes.
Dans le métro, les annonces sont faites en bilingue. L’atmosphère est familière. Pas tout à fait Paris, plus tropical, souriant et détendu. Plutôt Barcelone ou Milan. Paysage de gratte-ciels, mais pas les immeubles en verre brillants de Beijing. Moins clinquants, plus divers, plus individualisés. Parfois, vision de vieux bâtiments dont, à côté de la rivière, des maisons presque en ruine, squattées ou encore occupées. Contraste auquel, pour l’instant, je n’ai pas envie de penser.
A la fenêtre d’un vieux bâtiment de Huahai Lu, deux cordes accrochées au platane en face, où sont accrochés des draps qui sèchent, au dessus d’un kiosque à journaux. Philip me montre un autre kiosque : « Paris Baguette »
Dans la vieille ville, centre « Forever Mark ». Un immeuble en style traditionnel à pignons, deux gigantesques lions dorés en façade. Musique douce, légère et traditionnelle. Au rez-de-chaussée, par les vitrines, on voit une série de comptoirs où se vendent des bijoux. Pas un seul client. Les vendeuses habillées de blanc se parlent, ou parlent aux gardes en chemisettes bleues qui déambulent parmi l’or et les diamants. Dehors, bruits de ville qui se superposent à la musique du magasin, foule, soir qui tombe.
Sur un écran géant de la tour Aurora, Pudong, apparaît une vierge de Rafaël. Sirènes de bateaux, odeurs de mer, marchands de cerfs-volants, péniches qui passent devant nous. Puis, dans un passage souterrain vers Nanjing Lu, des reproductions de Van Gogh décorent les murs.
14 octobre 2008
Noms d’artistes chinois au musée de Shanghai : Nizan, Wu Zhen (deux des quatre maîtres de yuan) ; Dai Jin, Yu Jin et Shen Zhon (de l’époque Ming, ce dernier, l’u des quatre maîtres). Paysages, oiseaux, fleurs, ou scènes de vie lettrée, mais pas une seule peinture historique, ni d’art religieux, ni de portrait ! Chen Chun, Xu Wei, Gong Xian. Toutes ces peintures sont produites par des vieillards de soixante ou soixante-dix ans.
Li shan et Jin Nong et Li Fangying (trois des huit excentriques de Yangzhou). Luo Pin, Gao Fenghan, Zhong Xie (dont deux autres excentriques).
Wu Changshuo, Wu Qingyun, Qi Huang.
15 octobre 2008
Perdus dans la gare de Shanghai – nous avons pris la mauvaise sortie du métro – nous errons d’abord dans un gigantesque marché souterrain qui vend exclusivement des lunettes. On nous aborde : « Excuse me, can I help you ? » Les lunettes sont assez jolies d’ailleurs. Nous ressortons, marchons dans le no man’s land agité du square nord, puis reprenons l’entrée du métro, pour chercher la sortie façade sud – Ming nous attend là. Nous marchons dans un long couloir, dans la foule, entre boutiques de perruques et petits chiens mécaniques aux grands yeux clignotants jaunes qui jappent mécaniquement à notre passage.
Nous achetons finalement les billets pour Hong Kong – 401 yuan par personne, départ samedi 17h45, arrivée dimanche à 13h00. Merci Ming ! Puir nous marchons vers Pudong. Nous traversons une zone de Hutongs au milieu des gratte-ciels résidentiels. Du linge accroché dans les arbres et sur les fils électriques ; des hommes et des femmes assis aux terrasses, dans la rue, qui mangent et boivent du thé. Trous dans les chaussettes, un autre étend ses jambes, et pose les pieds contre un arbre. Après avoir traversé Suzhou Creek, et son paysage de tours et ponts arqués. Puis au sud, nous longeons Beijing Lu, non loin des néons de Nanjing Lu, peut-être à peine dix minutes. Et nous longeons, sous un échafaudage en bambous, comme une jungle asiatique, une série de magasins vendant du matériel électrique en pièces détachées.
Dans un petit parc, à côté d’installations gymnastiques – une vieille femme exerce ses bras sur un système de poulies, un enfant marche sur un cycliste. Et nous mangeons des gâteaux à la crème, achetés par Ming à côté de chez elle.
Au bureau de poste historique, face à Pudong, sur Sichuan Road, nous envoyons carnets, livres et cadeaux en Australie. La préposée des postes ouvre nos sacs et vérifie tout ce que nous envoyons. Elle s’extasie sur nos baguettes et les pyjamas pour Gino et Renée.
Après un passage en ferry, nous prenons à Pudong un bus touristique à deux étages qui fait aussi bar à l’étage supérieur. Pour 15 yuans, tour de Pudong et lait de soja noir. « C’est pour bonne santé », nous dit Ming avec le sourire. A droite, terrain vide en attente de construction. A gauche, la grande tour à poignée, la plus haute de Shanghai.
16 octobre 2008
Nous visitons les marché aux animaux de Shanghai, juste derrière Renmin Square. Ambiance surréelle : aquariums superposés tout au fond, tables chirurgicales à l’usage mystérieux, husky tout joueur dans une cage au dessus d’un bouledogue placide, autre husky, plus vieux, qui geint dans sa cage, et dans une autre boutique, un bébé canique aux pattes teintes en bleu, grosse tâche orange au milieu du dos. Les animaux sont posés sur des grilles, en dessous desquelles on recueille la pisse dans une sorte de lèche-frite en métal. Des bébés chats se promènent en liberté. Personne, bizarrement, ne semble s’intéresser à nous, ni n’essaie de nous vendre un lapin noir. Sur un présentoir verical, quatre chats empaillés noirs regardent avec leurs yeux fixes.
Juste un peu plus bas, dans la rue, nous voyons des tortues, des centaines de tortues qui grouillent dans des filets noués, posées dans la remorque d’un vélo. Certaines sont à l’envers, les autres marchent sur leur ventre, ou le dos des plus basses. Aucune ne trouvera la sortie qui n’existe pas, mais elles s’agitent quand même.
17 octobre 2008
Approche de Zhouzhuan, en bus de ville : Marco Polo, venant ici, n’a pas dû se trouver trop dépaysé. Lac sur la droite, évoquant la lagune. Riches terrains agricoles, carrés de légumes, quelques rizières, et des propriétés entourées de murs, dont on aperçoit les toits à pignons. Près du lac, travaux de terrassement, trois hommes posent des dalles, il semblerait qu’on aménage une promenade. Arrivés dans une ville, vision maintenant normale d’un homme qui sort à l’écumoire de gros paquets de nouilles d’une grand marmite fumante, et les fait glisser dans un bol. Est-ce d’ici que viennent les pâtes ?
La ville elle-même est très belle, refaite et conçue comme un parc culturel. Porte à l’entrée, ticket à 100 yuans, avec annonces de contrôles fréquents. Grappes de touristes et guides à drapeaux. Des rochers en plastique dissimulent au pied des ponts je ne sais quelles installations électriques. Je demande à Ming si des gens vivent encore ici : elle répond que non (je découvre ensuite que c’est faux), mais ce n’est en rien pour elle un problème. Elle vient à Zhouzhuang parce que c’est beau, non parce que c’est authentique.
18 octobre 2008
Dans le métro vers la gare, où nous allons laisser nos sacs avant le train, nous sommes juste à côté d’un couple apparemment campagnard – l’homme porte une ceinture avec une image de stal sur fond vert à la boucle – et qui ont posé autour du poteau central trois valises sales, deux sacs de voyage, un carton ficelé, et une boîte à perceuse en fer. Je suis – encore une fois – réconforté. Je ne dérange pas avec mon gros sac, on ne me le fait pas sentir, ce métro sert, aussi, à charrier des affaires, et l’on ne me jette pas de regards irrités.
Dans le train pour Hong Kong, rencontre intéressante, Rachel, vingt ans, britannique, de Birmingham, étudiante en droit qui fait un an d’échange à Hong Kong. Elle me parle du droit chinois. Soixante trois crimes capitaux. Plus d’exécutions qu’ailleurs dans le monde. Et parmi les crimes capitaux, des crimes économiques : corruption, mais aussi cette affaire, des jeunes condamnés à quinze ans de prison ou plus pour avoir mangé, par erreur, des raisins qui faisaient partie d’un projet de recherche et causé, potentiellement, des millions de pertes. Leur peine, après plusieurs appels, a été fortement réduite – car après tout, si les recherches n’avaient abouti à rien, c’était des raisins ordinaires ; bref, un système où la punition n’est pas déterminée par l’intention, mais par les conséquences, où l’on doit payer, donc, non pour sa faute, en rapport au principe de la loi, mais pour le dommage qu’on cause à la communauté. Cruauté de ma part ? Je ne peux m’empêcher d’apprécier ce système, qui force à la grande prudence. Quand au niveau de démocratisation, à l’instauration d’un véritable Etat de droit, et la liberté d’expression, Rachel est mitigée, mais répète, comme faisait Ming à notre propos sans cesse, « It’s very interesting », créant un étrange parallélisme rétrospectif.
19 octobre 2008
Réveil dans la zone tropicale : nous mangeons au petit déjeuner notre boîte de congee devant un paysage de riziènes et de bananiers sur fond de montagnes, et franchissons parfois des rizières où des pêcheurs opèrent depuis leurs barques à fond plat. Tout cela ressemble aux peintures chinoises, mais aussi, ce n’est pas étonnant, à la République Dominicaine et ses paysages tropicaux.
Il semble y avoir en Chine une sorte de goût pour l’exercice physique méthodique. Hier soir, vers 9h30, j’ai vu deux personnes lever jambe après l’autre, en dépliant la cheville, dans le couloir du train. Maintenant, dans un petit square de Mid-Levels où des familles philippines se détendent autour d’un pique-nique, une femme chinoise de cinquante ans, pieds nus, marche méthodiquement, suivant toujous le même itinéraire autour du patio supérieur, pieds nus, l’air concentré, mais nonchalante.
21 octobre 2008
Bizarre présence de la Chine au Japon, sous la forme des Kanji que je vois partout.
27 octobre 2008
Sur Queens road, Hong Kong, on trouve une série de magasins pour les morts, vendant bâtonnets d’encens et offrandes en papier : billets de banque, mais aussi voitures, sacs Vuitton, grandes maisons de style oriental, turquoise ou fuschia, paniers de Dim Sums, et chaussures en papier vert clair à talon, vendues avec le sac assorti. En vue des tours abritant le siège de grandes banques, au cœur d’une des villes les plus riches du monde, on fait encore sécher le linge aux fenêtres ; on ne cache pas ses sous-vêtements.
Dans une petite allée perpendiculaire, boutiques vendant toutes sortes de produits séchés : bois de cerfs, carapaces de tortues, champignons noirs géants, dans des boîtes en carton sur la rue. Multiples choses tordues, rangées par couleur – jaune, rouge, brun, blanc – dont je ne connais pas la fonction, mais que j’imagine médicinales. En tous cas, l’odeur est agréable, et le fond sonore animé. Puis Philip montre, attachées deux par deux dans une boîte en carton, des peaux de lézard écorchés, le ventre ouvert, comme s’ils voulaient planer.
29 octobre 2008
Je me souviens d’avoir entendu je ne sais quel intellectuel français dire sur un plateau de télévision qu’il n’y avait pas à s’inquiéter de la Chine, qu’ils se tourneraient toujours vers l’Europe, car c’était « un peuple mimétique ». J’en vois une manifestation dans la salle des calligraphies du musée d’art de Kowloon. La pratique de la calligraphie – comme toute activité linguistique, et c’en est une – suppose d’abord l’imitation, la reproduction. Le style peut varier, mais pas tant que le caractère ne soit plus reconnaissable. Il est possible que l’esthétique occidentale soit caractérisée par un fantasme d’imitation de la nature (c’est, je crois, dans la Poétique d’Aristote) – qui s’étend, par le cratylisme, au langage – et le fantasme d’un langage qui reproduirait le cri même de la nature. A l’inverse, il y a dans la pratique de la calligraphie chinoise quelque chose d’anti-naturel, une reproduction de modèle hérité. D’où, respect de l’héritage, pas d’esprit révolutionnaire, etc. Bien sûr, c’est à reprendre et creuser.
30 octobre 2008
Je comparais la Chine à la Méditerranée : le village de Yung Shue Wan, au nord de l’île de Lamma, ressemble étonnamment à n’importe quel village de vacances construit sur un ancient petit port de pêche, en Italie, Grèce, ou sur la Côte d’Azur – les rochers légèrement rouges font penser à la côte de l’Esterel. Et même le petit pavillon au toit recourbé, stule pagode, pourrait être la folie d’un riche anglais, qui se serait enrichi dans le commerce avec l’Extrême-Orient, puis se serait fait construire un palais paradisiaque au soleil. Non loin de là, des retraités à la peau rouge observaient la mer et les bateaux de pêche, assis sur les balcons de l’hôtel Bali. Comme en Grèce, on sert partout du café frappé. Une petite fille en robe de princesse blanche et chaussures argentées fait la danse du sac au milieu de la salle d’attente, et sur sa gauche, agité par les vagues, le ferry d’HKKF débarque ses passagers, venus pour la soirée manger des coquillages ici.
1 novembre 2008
Retour en Chine, Lang Dong, station de bus à l’est de Nanning, capitale du Guangxi. Le bus couchette est arrivé plus tôt que prévu, nous nous sommes installés au KFC pour prendre un café, en attendant que l’amie de notre hôte couchsurfing vienne nous chercher à 8h30. C’est le seul endroit dans toute la station qui dispose de chaises, mis à part un petit restaurant chinois. Musique d’ambiance New Age, odeurs de pancake, impression rurale : il pleut, nous avons vues sur les pentes d’une colline verte et, devant la vitre, une femme attend, valise à côté d’elle, en pantalons de jogging à rayures et talons aiguilles, un petit sac doré pendu sous l’aisselle gauche.
Plus tard, à la Bank of China, nous changeons des dollars pour acheter nos billets vers Hanoï (300 yuans par personne, ils ne prennent pas la carte bleue). Trois guichets, dont un qui ne fait pas le change, une femme nous fait remplir deux papiers, puis nous faisons la queue : guichet 2, un homme compte et recompte des piles de billets, puis fait des piles de dix, pliant un billet autour de neuf autres. A côté, guichet trois, une vieille dame assise négocie je ne sais quelle étrange transaction superstitieuse avec la guichetière, elles s’échangent des billets de cinquante livres sterling, qu’elles observent toutes les deux par transparence, et suspectant les déchirures, les plus ou les numéros de série. Sur la droite de chaque guichet, une machine interactive montre la photographie de l’employé, son nom, et une série de cinq étoiles, dont certaines allumées. Les clients votent grâce à des boutons, jugent la prestation satisfaisante, moyenne ou non satisfaisante, et la machine, selon la comptabilité des votes, fait monter ou baisser l’évaluation de l’employé.
2 novembre 2008
Au Musée provincial du Guangxi, la Chine impérialo-communiste célèbre ses minorités ethniques. Un jardin des nationalités présente, outre une énorme cloche en bronze Dong, une série de bâtiments correspondant au style de construction des Miao, des Yao et des Dongs. Kitsch régional, ou multiculturalisme interne ? Un homme fait des exercices de marche à l’intérieur d’une tour à tambour Dong, reproduisant exactement les mouvements de la femme que j’avais vu s’exercer dans un parc à Hong Kong. Trois jeunes femmes assies au milieu du pavillon sur des bancs en bois discutent et fouillent dans leurs sacs en plastique.
Les nationalités sont présentées surtout pour leurs costumes (en vente dans les magasins souterrains près de la gare) et leurs festivités. On fait l’éloge du grenier Yao – je lis sur le panneau « although the granary is away from the house, no one steals the grain, beacuse the Yao people are honest. » - mais on ne présente pas ni les structures sociales ou hiérarchiques, ni, moins encore, leur histoire ou celle de leur intégration dans l’Empire chinois, sans parler des résistances éventuelles. Pourrait-on cepdendant demander cela ? Comment les choses sont-elles présentées en Europe ? On translittère le nom des rues d’une façon qui correspond au dialecte local, c’est déjà quelque chose. Et puis l’architecture traditionnelle est prétexte à construction dans le jardin – gratuit – du musée : des restaurants et salons de thé permettent au visiteur de s’y reposer ; des hommes pêchent dans le lac artificiel, abrités sous de grands parasols, la scène est calme et paisible. Plus loin, devant la réplique d’une maison villageoise Zuang tout en bois, deux citadines assises vendent des souvenirs ethniques – porte-bonheurs, poupées, chaussons et bourses en tissu brodé ; je ne les trouve guère différentes de ce qu’on trouve sur les marchés de Shanghai ou Beijing.
Au premier étage, exposition de poteries – sans doute exhumées par les archéologues locaux. Tout un mur est couvert de reproductions photographiques agrandies, dont une femme en pull-over rose prend une photo, téléphone portable braqué vers le mur, tandis qu’une femme de ménage en chemise bleue passe et repasse un large balai sur les carreaux du sol. Je retrouve la femme en rose dans la salle à côté – près de fragments d’assiette : elle a toujours le téléphone à la main, je pense qu’elle doit envoyer un message, ou peut-être la photo du pot vert agrandi, reproduit sur le mur. Puis je traverse une salle de calligraphies pour tomber sur deux hommes, les fesses en arrière, penchés sur une lame de bronze. Je m’arrête un moment devant la statue d’un cheval rieur, bouche ouverte, ensuite une photo montrant un chantier de fouilles, et deux hommes en costume qui pointent avec la main droite un morceau de bronze verdâtre au sol ; une laveuse, deux poules, deux vaches et deux chiens – les animaux symétriquement arrangés deux par deux ; les deux hommes, toujours les fesses en arrière, sont fascinés maintenant par une série de petits crochets noirs et dorés ; une femme en gilet vert, une garde, assise à côté d’un rideau jaune, tape un numéro sur son téléphone portable, et parle à je ne sais qui, quelque part. Un vieil homme sourit, deux autres gardes en vestes mauve et lilas m’ignorent, je vois deux chèvres assies en terre cuite et deux vaches, une blanche, une noire ; modèles de maisons, pots, vases, prélude médiéval à l’abondance de produits que la Chine manifacture aujourd’hui. Je décide que j’ai passé suffisamment de temps dans ce musée provincial, et je vais m’installer au « Provence Lounge », gauche de l’entrée principale, en attendant Philip, heureux de connaître mieux la Chine et, demain, de partir au vietnam. (Philip m’attendait sur un fauteuil à l’entrée du musée, je n’irai donc jamais prendre un verre au Provence Lounge). Dernière promenade autour du musée. Même impression qu’à Santo Domingo : bâtiments clinquants et shopping malls cohabitent avec les marchés traditionnels (on tranche le cou des canards en direct) ; restaurants et bars prétentieux, panneaux en anglais mal traduits (‘life lounge’). Franchises partout, KFC, Mac Donald’s ; on joue James Bond au cinéma local. Bref, une impression de déprime tropicale aggravée par la langueur des habitants, jointe à l’aliénation culturelle d’une province périphérique et frontalière, dont la capitale souffre d’une effrayante planification.
Pourtant, depuis le bus n°6 qui nous ramène chez Rachel, dans son immeuble à peine fini, devant le parc en construction, sur Mingzu Dadao, j’aperçois des lanternes rouges en devanture d’un magasin, sur une allée sombre qui s’enfonce depuis la rue principale, et je me dis, peut-être y a-t-il quelque chose, là-derrière, d’intéressant, peut-être est-ce qu’il vaudrait la peine de revenir à Nanning, et d’explorer cette allée. Peut-être est-ce moi qui projette un fantasme de Chine sur cete métropole obscure, ou peut-être est-ce un effet secondaire du voyage, que de s’attacher ainsi trop facilement aux lieux ? Si l’homme qui lit par-dessus mon épaule arrivait à déchiffrer mon français, qu’en penserait-il ?
3 novembre 2008
Dernières images de la Chine, traversée d’un paysage karstique et de cannes à sucre, sous la pluie, tandis que la télé du bus passe un film d’action américain doublé.