Germany
10 janvier 2008
Quand j'étais petit, l'Allemagne n'était pas un pays. J'apprenais, sur la carte, il y a deux Allemagnes, RFA, RDA, république fédérale et démocratique, ouest-est, avec différentes couleurs. Un mur tombe, un régime avec, et l'Allemagne apparaît.
19 janvier 2008
A cologne, où je viens pour la troisième fois, Cologne, ou la dernière ville romaine avant les plaines de l'est, et sur la même rive du Rhin que Strasbourg. A ce point, j'hésite encore sur l'itinéraire que je vais suivre : où traverser le Rhin ? Cologne ou Strasbourg ? Argentorate ou Colonia, ville où je suis né, ville symboliquement importante (pour moi, c'est là que je suis entré pour la première fois dans un sauna, juin 2003, 2004, ou 2002) pour Christopher Street day. Ville importante, donc, pour cette part de mon identité, ville qui de ce point de vue s'est américanisée (Christopher Street).
En général, importance de l'Allemagne : il y a non seulement cet amant fantasmatique au Riad, cet homme de trente sept ans, père de deux enfants, qui venait avec son copain, que j'ai touché dans la piscine, sans pouvoir aller plus loijn – son amant ne voulait pas – mais qui, pour me dire au revoir, m'a donné l'un des baisers les plus érotiques et les plus émouvants de ma vie. Karl – ainsi je vais le surnommer, car il était d'Aachen, capitale carolingienne et source. (Oui, source, aussi Strasbourg et Baden Baden, les sources du Rhin qui me nourrissent).
Et puis Berlin – l'Allemagne est le lieu des premières fois – Berlin, dans laquelle j'ai fait pour la première fois l'achat d'une revue pornographique, un playgirl, rien de bien terrifiant, l'été 97, quand je travaillais au Berlin-Branderburgisches Institut für deutsch-französisches Zusammenarbeit de Genshagen, et je me suis masturbé sur les photos d'un black en costume, la bite en érection, dans le parc à côté d'une vieille forteresse, au débouché du métro « Altstadt Spandau », il faisait chaud, puis j'ai marché dans les vieilles rues de Spandau, et le soir, je me suis encore masturbé, dans la chambre de Rehwinkel, dont je fouillais les boîtes de photographies, dans l'espoir d'en trouver d'érotiques – et je n'ai pas été déçu, car il était naturiste, et j'ai truové plusieurs photos de lui nu dans un parc ; une aussi plus intime, sans doute prise par son amante, et qui le montrait nu dans une baignoire, la bite surnageant par dessus la mousse ; et je me suis aussi masturbé. Puis il y eut l'exposition de body art, à côté de son appartement, dans un hall sur la place de Neuköln (- et toujours Kôln alors), où pour la première fois j'ai vu le sexe d'un homme sur scène, un strip-teaser qui faisait un strip-tease intégral – pour le reste, il y avait surtout des ateliers de tatoueurs et de piercings, ainsi qu'un randonneur nudiste et blond qui tournait autour d'un groupe « massage tantrique », et s'est fait masser nu sur la scène un peu plus tard. Je me suis aussi masturbé. Mais je n'ai jamais répondu à l'annonce de cet homme qui, dans un journal, se présentait comme un Lohengrin cherchant son jeune cygne.
A Cologne aussi, lors du premier voyage, j'ai lu le livre Gay Spirit, et pendant quelques temps, me suis penché sur ces mouvements de spiritualité gay néo-païenne, en Californie, drag queens et berdaches – et peut-être est-ce que je dois proposer à Louis-Georges d'en traduire. A Cologne aussi, lors du second voyage, en 2005, un gang bang masturbatoire en plein air, dans les sous-bois d'un parc, à côté de la pelouse naturiste.
22 février 2008
Le premier livre de Julien Santoni s'intitulé Berlin Traffic, titre suggéré par Héraklès, et dont je suis donc en partie responsable. Il écrit l'histoire d'un acteur homosexuel parisien dépressif qui part à Berlin pour faire le deuil de son ami Matthew, suicidé précocement parce que séropositif. Je n'ai lu que les cinquante premières pages encore, le personnage principal a pris la décision de partir, mais doit avant cela raconter un rêve à son psychanalyste. Il a jusque-là passé la nuit dans un club trash du premier arrondissement, s'est bourré la gueule à la bière, puis après avoir vomi dans la Seine, s'est endormi sur le manège de l'hôtel de ville dont il trouve les chevaux de bois très laids. Résultat de cette nuit d'ivresse : une illumination sur Paris, la ville pue les morts, il veut une ville avec du sang qui coule : Berlin !
Jean-François me disait l'autre jour : « des choses se passent à Berlin ». Martin aussi, l'ami danseur de Rosie, nous racontait qu'il s'y passe quelque chose, et qu'il veut en faire partie. Mariage de l'est et de l'ouest ? Et métissage communisto-capitaliste ? Oui, peut-être, et la ville semble très riche en sensations pour les artistes queers à piercings. Mais n'est-ce pas un peu triste, cette ville qui fait rpêver l'Europe, parce que la vie n'est pas chère, et qu'on y vit bien des allocations chômage ? Reste de la guerre froide : alors, vivre à Berlin dispensait du service militaire les habitants de l'ex-RFA. Les objecteurs de conscience et les alternatifs en tous genres affluaient. développant un art de vie que l'Etat reconnaissait comme une préparation militaire – voire comme une forme de guerre. « L'art! »
24 février 2008
Berlin : c'est à l'ambassade australienne de Berlin qu'est traité mon dossier de visa. C'est là que se décide administrativement la possib ilité de mon voyage, et surtout de mon installation dans un noueau pays. Berlin, lieu de passage. Il faudra rituellement célébrer cela, peut-être.
25 février 2008
Berlin-traffic : le personnage de Santoni part à Berlin pour échapper à la vieillerie parisienne, aux Eaux et camées symbolistes, aux macchabées des catacombes, aux fantômes éthérés de Paris. Qu'y trouve-t-il ? Une danseuse activiste, un travail comme pute de luxe, et pour finir, un rôloe dans une adaptation de Solaris. Des vieilles choses encore, juste un peu moins vieilles. Se mée Berlin. Trop cool pour être honnête. Autrefois, c'était une ville champ de bataille – et c'était Berlin Ouest, le poste avancé. Mais on assiste, hélas, au recyclage kitsch du centre est : Friedrichshain et Prenzlauerberg : à 19 ans, j'allais y boire des bières et je m'y sentais bien. Pourquoi pas? Mais les turcs étaient à Kreuzberg, et l'exposition de body art à côté de Hasenheide. Bref, il y a je pense un très dangereux kitsch berlinaois qui domine aujourd'hui la culture européenne sur l'air du lila-lied et de Wir wollen alle wieder kinder sein. Oubli de la guerre et des responsabilités – pas même besoin de vraiment travailler, la vie n'est pas chère, on a de l'espace, on squatte. Bref, une éthique de la récup facile, réagissant à l'art plus noble de l'entretien. D'où sans doute, une angoisse que Santoni met très bien en scène : Berlin, la ville où l'on a peur de vieillir, car elle tient uniquement sur l'éthique jeune, une certaine forme de paresse, tetinté de gourmandise et de luxure On est censé, jeune ou dans l'âge mur, produire plus que pour soi – car il faut aussi nourrir les plus jeunes et les plus vieux. Or à berlin, l'éthique est du juste-assez-pou-soi. « Je vis dans un super appartement », dit Martin, « il y a du chauffage au bois ». Donc, porter le bois – quand on est jeune, pourquoi pas. De meme aussi Santoni, son personnage fait la pute et vend sa chair fraîche...
Il faut faire attention – je dois faire attention : ne pas se laisser tenter par le modèoe berlinois. Ne pas etre un secret citoyen de Prenzlauerberg. Et jouer Naples contre Berlin,. La densité, la chaleur, le soleil, et la vie.
Genres littéraires : Berlin; le noir ou le porno. Le thriller SAS, l'spionnage : voilà Berlin, la ville des espions, la ville aussi du roman d'espionnage. Pas le policier mafieux à la Sciascia, pas la population tout entière qui coopère, non, le grand espionnage, et chez Santoni, la pègre.
Premier thème de l'Allemagne, donc : l'espionnage. Qui suppose le secret. Mais aussi les fausses identité, doubles noms, tous les appareils techniques, et l''argent, les objets qui circulent, et le vol, et le rapport étrange à la loi – car on vole les informations ou le bien d'un pays pour l'emmener dans un autre. Passage de Paris, ville de la poésie stérile, en style émaux et camées, à Berlin, la ville du roman d'espionnage. Ou comment Santoni recycle un certain doublet parisien – la gouaille popu des Halles, de Belleville et du faubourg saint Antoine, et la préciosité des salons 17e ou romantiques, en roman policier cosmopolite, avec salons érotiques et trafic d'objets d'art. Bel effort. Mais on n'est pas sorti du kitsch pour autant. Puis l'espionnage, quel ennui ! Déjà l'affaire de Pagny sur moselle était affaire d'espionnage. Entre la France et l'allemange, donc, voilà l'histoire : vol d'information.
A Berlin, le personnage de Santoni retrouve une autre forme de sérieux. C'est que l'Allemagne est terre païenne, y compris Berlin ; c'est qu'on y croit en la bonté de la nature ; c'est qu'on y fait encore du néo-grec mélancolique (aussi, Crista Wolf, et malgré son talent, je ne parviens pas à dépasser le premier chapitre de Cassandre). Il y a quelque chose à comprendre dans cette fascination pour l'antique et la méditerranée déplacés. Quelque chose du kitsch de Berlin, de Paris, de Santoni, dans ces musées du nord pleins de vestiges perso-greds et de dieux égyptienss, pris comme biens nationaux, sources de richesse « en tant que vieux », la grand mère d'Aurélie parlant avec émotion de « l'ile aux musées ». C'est une autre forme de recyclage ou d'art de la récup. C'est-à-dire, de vol. Or, « tu ne voleras point. » Je pourrais en faire le motif de cette série, mes carnets terresteres et maritimes, « tu ne voleras point. »
3 mars 2008
Deux fois, je passerai la frontière entre l'ouest et l'est, ou rideau de fer, en entrant dans le Brandenbourg d'abord, puis à Berlin. Je ressortirai de l'univers ex-communiste en Thailande.
20 juin 2008
Pris les billets pour Berlin, le 20 septembre au soir. Onze heures de couchette, on quitte la France à 20h46 (Paris), on arrive à Zoologischer Garten, vers 8h30 le matin. Délai de trois mois, pour les billets SNCF, pour les visas russes, pour de nombreuses autres formalités. Chiffre administratif : 90 (jours). Coût du Paris-Berlin : 50 euros pour deux ; pas de visa. Mais c'est le premier engagement financier du voyage. Maintenant que la chose est payée, c'est lancé, nous partons.
15 juillet
Rencontré ce week-end, au mariage d'Isabelle Feuerstoss et d'Anas Ramadan, Delphine Iost, géopoliticienne, qui nous a proposé de nous héberger à Berlin en octobre. Elle a obtenu pour l'an prochain une bourse d'études de 10 mois. Signe distinctif : un piercing – assez joli – dans la gencive, un anneau qui tombe entre les deux incisives supérieures.
20 août
Sur papier, le voyage en Allemagne est réglé : départ dans un mois et quelques heures, 20h46 de la gare du Nord, arrivée le 21 septembre à 8h09, puis 47 à Berlin, chez Martin, Delphine ou Gigi, puis, le 23, à 6h29, départ de la Berlin Hauptbanhof, sur l'expresszug 41, pour Warszawer Central, où l'arrivée est prévue à 12h35. Wagen 269, Sitzplätze 45-46, 2 Fenster. Prix 78,00 € pour deux, le tout fourni par la Deutsche Bahn, et mandé par europeanrail.com.uk depuis l'Angleterre, par Royal Mail.
16 septembre
Je viens d'envoyer quatre messages à Berlin. Quatre membres du groupe « gay and lesbian » sur hospitalityclub.org. Une sorte de rattrappage rapport à mon premier séjour là-bas. Profils intéressants : un anthropologue sans doute à moitié turc, un indien, un chinois, et un languedocien. Tous vaguement liés à des projets artistiques. Je suis curieux de savoir lequel va nous héberger – tous les quatre en tous cas, me semblent intéressants. Bizarrement, trois d'entre eux n'ont encore accueilli personne.
17 septembre 2008
La banque européenne est à Francfort, je crois : c'est en Allemagne, donc, que se fait l'euro – mais comment se fabrique la monnaie européenne ? Ces pièces, j'imagine, avec leur côté face national, doivent être faites dans chaque pays. Les billets sans doute aussi. Mais les décisions sur la monnaie – taux d'intérêt, etc. - se prennent-elles en Allemagne ? Ou par consultation des pays membres ? Et quel est le pouvoir de la banque, de son directeur, et de son conseil d'administration ?
18 septembre 2008
Pour nous dire au revoir, mon père nous a invités au restaurant. J'ai dit « je voudrais aller à l'Alsaco ». J'ai donc mangé, pour dire au revoir à mon père et à
Paris, une « formidable choucroute complète », et des escargots, suivis par un alcool de quetsches. Evidemment, discussions avec mon père, sur les espoirs, ce que j'emporte avec moi. J'expliquais comment, venant de Strasbourg, je suis accueilli dans la famille de Philip en tant que presque allemand, et que dans les villages de la Barossa, ou dans les collines d'Adelaide, vers Hahndorf, on fait de la choucroute, et l'on mange des saucisses.
19 septembre 2008
« Vous allez à Berlin ? Pourquoi vous ne m'avez pas dit? » Me demande Jean-François. « Il y a Hannes là-bas. Il va être papa. » Donc, en plus d'hospitalityclub, il y a des contacts à Berlin. Pas les seuls : Rosie part s'y installer aussi (nous sommes partis deux heures avant qu'elle n'arrive). Delphine Iost, amie d'Isabelle, y est sans doute en ce moment. Hélène Harder doit y connaître du monde. Il y a Gigi Adair, qui nous avait déjà hébergés à Londres, avant notre voyage en Australie, il y a deux ans. Bref, on a des contacts, on connaît des gens, Berlin, c'est parfaitement intégré, c'est la grande ville culturelle européenne, et tous les intellectuels de Paris ont un pied là-bas. Mais c'est aussi la frontière, ou presque, encore. Parce qu'on y rencontre et des turcs, et des russes, on est presque en orient. Drôle de frontière, pourtant, dans le premier pays du voyage. Et, comme on s'en rend compte après Berlin, c'est l'exotisme. On a tous un ami qui peut nous accueillir à Berlin. Mais pas à Varsovie, ni Moscou.
Thème possible de ce voyage aussi : « les portes de l'orient ». Car il semble qu'on va franchir une succession de portes, avant de prendre l'avion pour entrer dans l'hyperespace australien.
20 septembre 2008
Je suis dans le train pour Berlin. Compartiment six places, je croyais avoir réservé des couchettes, jusqu'à ce qu'en regardant les tickets, il y a quelques jours, je voie « couloir » et « milieu ». Pas même des sièges inclinables : un compartiment de six places. Heureusement, les sièges sont légèrement décalés, les jambes ne se touchent pas, on a de la place.
Il y a deux filles dans le compartiment. A ma gauche, une allemande, en chaussettes de laine multicolores, a son portable sur les genoux, et traville sur un document en anglais à proposé de la morphologie des bactéries. L'autre est française, elle a les jambes croisées, l'air légèrement nerveuse, et lit un énorme magasine avec des photos de mode et des rubriques « byzomètres » ou, question majeure, « doit-on tout savoir de la vie privée de nos politiques ? » Elle regarde avec dégoût mes chaussettes lorsque j'étends les jambes afin d'appuyer les pieds sur le siège libre, à côté d'elle, et lit attentivement son article, en commençant par la page de gauche, « oui », puis celle de droite, « non », juste à côté d'une photo de Rachida Dati le ventre arrondi, qui porte un dossier sous le bras. Puis elle tourne, et s'arrête à nouveau sur « tandem indemne ».
Alors que dans les trains de nuit italiens, la conversation commune est presque de rigueur, ici, tout le monde se tait et fait ses trucs. L'ambiance est plutôt confiante, et la française a, depuis, retiré ses chaussures pour s'asseoir en tailleur, dos contre la vitre du compartiment. Mais elle a sa musique, l'allemande aussi, et Philip et moi aussi (Ute Lemper).
Remarquables, à propos du Paris-Berlin, l'extrême propreté des compartiments et des sanitaires. Bien plus que les trains italiens, sans aucun doute.
21 septembre 2008
Réveil dans le Brandebourg, après une vision nocturne ensommeillée du panneau « Hannover » en blanc sur bleu et, plus tôt dans la nuit, la montée d'un géant blond, sans doute à Blefeld, qui m'a réveillé pour s'installer. Nous traversons le Brandebourg au lever du soleil. Teintes pastel 18e siècle, rose pâle et bleu pâle, brume légère, champs blonds, lignes d'arbres, et tout à coup, forêt d'éoliennes tournant à faible vitesse : c'est très beau, très calme, et donne une impression d'espace, déjà, par rapport à Paris ou la France. En voyant des moutons, j'ai cru même, un moment, que j'étais en Australie, déjà.
Premier arrêt, Berlin Spandau. Souvenirs émus de mon premier magazine porno. sur le toit d'une maison, des panneaux solaires. Il ne fait pas gris, pourtant ?
Magazines offerts dans le train : « Healthy living, weil Gesundheit schön ist. » Article principal : « Mehr Kraft für mein Leben. » Autre esthétique.
Sur la passerelle face à la Hauptbanhof, chants d'oiseaux enregistrés, puis cloches d'église, et ruisseau, cloches de vaches. Paysage sonore : « it is not cool to have bird sounds on a bridge, I'm sorry », dit Philip.
Près du reichstag, une affiche pour une visite de la ville : « Drei Stunden Berlin Intensiv. » Qui voudrait faire du tourisme intensif ?
Dans un chantier, juste à côté, petit bouquet jaune et vert, choux d'ornement et tournesols. Un ruban : « Nie wieder Krieg, nie wieder Fascismus. »
Franchie la brandenburger Tor, nous voici à l'est. Un char se dirige vers là, l'ange nous tend les bras. Nous allons faire encore quelques allers-retours est-ouest, avant Varsovie. Bizarrement, Kreuzberg, où nous logeons, bien qu'à l' « ouest », est littéralement au sud, comme l'Australie.
Peu d'iconicit – comme Melbourne. Pas de bâtiments, monuments, constructions qui fassent image. Et de plus, une ville qui semble une fédération de faubourgs.
Mais sur Unter den Linden, un hippie blond passe à vélo, traîné par deux chiens, un noir, un beige, accrochés par une corde au guidon.
Dans les toilettes, stickers contre la guerre en Afghanistan : « Verhandeln statt schiessen. »
Sur le Kurfürsterdam, un homme en chaise roulante est assis devant une banque. Notre he, Benjamin, nous raconte « pendant la semaine, une femme est là qui distribue des prospectus, et l'homme sur la chaise roulante, à chaque fois qu'elle en tend un, crie : « ne le prenez pas, elle travaille pour la scientologie ! »
Plus loin, la fête juive, pour les 60 ans d'Israël. Fête de rue, marché, nourriture traditionnelle et Klezmer. Barrières à l'entrée, chiens de garde. On doit se faire fouiller, vider ses poches. « Sad for a street fest », commente Benjamin.
Devant la « Judisches Gemeindehaus », une plaque avec l'étoile jaune commémore la Shoah : noms des camps (dont le Struthof, en Alsace, où j'ai fait un voyage de classe en 5e). Benjamin nous explique que la population juive de Berlin a doublé dans les dix dernières années, car la loi permet d'obtenir des visas aux citoyens de l'ex-URSS qui seraient juifs. A l'intérieur, une exposition : « Heyls Utopie, Israels Gegenwart ». On vient d'entendre en yidisch du Klezmer devant le bâtiment. Sentiment d'être au coeur de la Mitteleuropa, mais aussi, bizarrerie de ce passé douloureux, qui donne l'occasion de divertissements et de visites touristiques. On mange des falaffels pour commémorer la shoah. Mais Philip commmente « does it always have to be about that ? » Je vois l'étoile de David, en chantilly, décorer un gâteau sur l'affiche de l'événement, « Jüdische Kulturtage ». Tout à l'heure, Philip se disait troublé.
Petite affiche, sur l'entrée Charlottenburg, présentant « Cabaret in deutscher Sprache mit Pianobegleitung und Gesang », et la photo de deux hommes, la cinquantaine, et l'air ahuri. Juste à côté, le poster pour des Rumänische Kulturtage, im Kino Babylon. Multiculturalisme.
Berlin, c'est la ville des gentils, où l'on pense que « chaque enfant a droit à » un futur de paix, de quoi manger, la culture, et tout ça. Subventionné par qui ? Juste à côté, la PotsdamPlatz-Sony, son gigantesque toit métallique, où Benjamin nous a dit qu'on ne pouvait pas fumer d'herbe, ou tenir de manifestation publique.
Conclusion du premier jour en Allemagne : un pays gentil, consensuel et policé, qu'on dit secrètement cool, actif et dynamique, mais qui, je crois, pose les questions de façon purement esthétique ou superficielle.
22 septembre 2008
Lever à Berlin : froid, gris, légèrement humide. Etonnant, comme les lieux peuvent être associés à des impressions corporelles.
Migration-départ-juifs. Nous visitons le musée juif de Berlin, que beaucoup d'amis ont recommandé à Philip. La chose est appropriée pour notre tentative de migration. Car ces gens sont aussi partis. Les français, eux, ne partent pas si facilement. Mais donc, pour les juifs allemands, ou les juifs français, partir, c'est devenir juif. Et d'ailleurs, le thème fondateur, Abraham, est un départ. Moïse et le retour en terre promise, de même. Les juifs sont donc le peuple migrant. L'élimination corrélée des juifs et des tziganes, en ce sens, paraît motivée : ce sont des peuples migrants, qui sont partis de quelque part, et conservent la mémoire de ce départ. Musicalement, aussi, leurs styles se ressemblent.
Ils emportent avec eux des souvenirs, objets du lieu qui les a vus naître, souvenirs personnels, comme nous avons pris avec nous quelques objets, envoyés par bateau vers l'Australie.
Complexité du départ et des possessions. Certaines personnes âgées, déportées à Theresienstadt, signaient un contrat par lequel elles échangeaient leurs biens contre l'assurance d'un logement et d'une rente au camp... qui ne leur était pas versées : c'était un moyen de les dépouiller. De façon générale, partir, c'est abandonner des biens derrière soi – par le don, ou en les délaissant. Ils deviennent déchets pour celui qui part, mais pour celui qui reste, ils ont de la valeur.
Pourrait-on tracer un lien, du dépouillement des juifs à l'art de la récup à Berlin ? dans quelle mesure est-ce du vol ? Dépouiller un migrant, vendre cher, acheter pour presque rien, serait-ce du vol ?
Les juifs, moins fixes que les chrétiens, étaient aussi des marchands, ramenant de loin des produits exotiques, et faisaient lien de Köln ou ainz à Constantinople. En 800, Charlemagne envoie, de la sorte, Isaac, juif, en ambassade auprès d'Haroun-al-Rachid. Il revient avec des cadeaux sur un éléphant. Trait d'union, de l'ouest à l'est, ainsi furent aussi les juifs.
Mais les arabes eux-mêmes ramenaient leurs épices de plus loin, par navires, depuis l'autre bout de l'océan indien.
Caractéristique – peut-être – des juifs, comme aussi des pays de migrants, deux qualités y comptent surtout, l'argent et le savoir. Mais pas les relations sociales, ou l'ascendance. Le savoir et l'argent, quant à eux, venaient des contacts avec l'étranger. Je pourrais interpréter le refus de ma thèse comme rejet d'une telle attitude, rejet, car je néglige les règles de la caste, et mets en débat le savoir... ?
Faut-il comparer ces juifs d'Allemagne aux chinois de Melbourne ou d'Asie du Sud-Est ?
Karl Marx était – lui aussi – juif allemand. Mon pélerinage à travers les pays communistes est donc, dans cette perspective, un prolongement de cette visite au musée juif. Ajoutons qu'on voit dans un tiroir du musée trois bouteilles de vin « Karl Marx ». Sa famille, originaire de Trèves, possédait du vin, dont Karl était amateur, comme Luther, dont il se reproche. Or – liens personnels – j'ai moi-même de la famille proche de Trier, les Bur du Luxembourg, et me souviens, quand j'y suis allé, m'être dit que les gens de là-bas me ressemblaient.
Quant à la pensée de Marx, elle est fortement présente dans mon mémoire sur les noms collectifs que je n'ai pas soutenu. Ajoutons que je vais vers Adélaüide, une terre luthérienne et viticole, et politiquement avancée, socialisante en tous cas très fortement.
On montre, au musée juif, d'autres facettes du mmonde berlinois : le théâtre et le cabaret (Reinhardt, Lubitsch), les avancées scientifiques (Einstein), et la sexualité (Hirschfeld). On refait donc le lien juif / homosexuel.
L'orient désiré, dont Berlin était la porte, était aussi la Palestine, et Jérusalem : des juifs de Pologne et de Russie passaient en Allemagne et, de là, partaient en Palestine – ou, plus nombreux, vers les USA.
Séparation du passé : la RDA se voyait comme l'héritier de la résistance, la RFA, comme héritier du Reich. En France, l'Etat français pétainiste est resté sans héritiers.
23 septembre 08
Berlin Hauptbanhof. Nous sommes arrivés, comme à notre habitude, en avance. Grâce au système de bus efficace. Tout la nuit, le bus express M41 passe toutes les 20 minutes. 5h05, 5h25, 5h45, 6h05. Nous visions le 5h45, et nous avons finalement attendu, juste en face de l'immeuble où nous logions, 3 Urbanstrasse, pour le 5h25. A 5h39, nous étions à la gare. Efficace.
A l'arrêt du bus, nous avons vu que le Kneipe du coin était ouvert. Au moins deux personnes à l'intérieur, la barmaid, et un homme devant elle sur un tabouret. Quant à la gare, je n'étais pas sûr qu'on pourrait déjeuner, mais que non ! Tout était ouvert, ou presque. On a même pu feuilleter un « bravo » pour voir le roman feuilleton, dans un relai presse. Déception : je croyais trouver un poster de jeune homme nu en page centrale, je n'ai vu que deux petites photos de jeunes filles glabres, dans une double page « body check » plutôt médicalisée qu'érotique.
Sortie de Berlin, vers l'est : on est immédiatement dans une forêt plutôt dense, et pas dans les champs. La ville de Berlin n'est pas une enclave urbaine hors du monde paysan, pas un « non-village », mais une « non-forêt ». Quand on sort, ce n'est pas pour un pélerinage « au pays », dans son village, mais en forêt.
Frankfurt (Oder). Brouillard, pluie, couleurs vives des maisons. C'est la dernière ville avant la Pologne et, tout autant, ce pourrait être Ofenburg, ou Saverne. Est-ce que, franchissant l'Oder, j'aurai sentiment d'étrangeté ? Car je sors de mes terres, et m'enfonce à l'orient. Le train part. Philip dit « Wouaw ! » Je demande pourquoi : « The train started moving when the second hand hit twelve. » Et peut-être est-ce là quelque chose qui me manquera, cette pafaite précision ?
Vision de Berlin depuis Varsovie : « So what ? » - On a la même chose à la maison. « Je m'y sens chez moi, c'est la même chose – it's the same dump. »
24 septembre 2008
On n'est pas automatiquement plus libre à l'ouest. Anya nous racontait ce matin les émissions qu'elle voyait à la télévision dans son enfance. On importait certains programmes, on pouvait aussi voyager, la société n'était pas aussi fermée qu'ailleurs dans le bloc communiste. Un de ses amis, lorsqu'elle vivait à Munich, a dit que la Pologne était réputée plus libre que l'Allemagne de l'est, en RFA.
26 septembre 2008
Pour les allemands nazis, les slaves étaient des « asiates », peuples inférieurs, non européens. Moscou, dans une certaine mesure, est une ville asiatique, c'est vrai.
A Berlin, nous avons mangé dans un restaurant cubain. Je ne comprends que maintenant, en lisant un article sur la crise de Cuba, que ces cubains berlinois sont sans doute venus par connexion communiste.
1 octobre 2008
Perdus quelque part entre la Mongolie russe et la Mongolie chinoise, au milieu des steppes arides, l'efficacité, l'ordre et l'efficacité des allemands semblent bien lointains
3 octobre 2008
Epuisés par deux heures de marche urbaine et la lutte infernale pour obtenir des billets vers Beijing, Philip et moi nous sommes installés à la table « main street » de « USA bucks », dans la rue piétonne de Harbin. Décor en bois, tables de quatre et bancs, sur les côtés, tables rondes en bois sombre et tabourets au centre, et, dans le fond de la salle, au dessus du bar, une télévision qui diffuse une émission de variétés chinoises.
Première bizarrerie, que le lieu du repos nécessaire après la marche, un repas dans le food court chinois « guî » sur Stalin Park, et surtout la difficile transaction de ce matin, au comptoir de la station de bus – soit un café de style américain. Car ni Philip ni moi ne le sommes. Mais quand nous passons, les gens nous disent « Hello, hello » en gloussant. Donc, ici, nous devenons simplement « occidentaux », et toutes les fines disitnctions entre mon identité méditerranéo-alsacienne, et les français de l'ouest ou de Paris, s'évanouissent. Comme l'identification de Philip à Melbourne et non Sydney. Mais surtout, ce bar le montre, on mêle des signes extérieurs d'occidentalité, qui tous ont vraisemblablement la même couleur exotique, de même qu'en Europe, on ne sait pas vraiment si les nems sont chinois ou vietnamiens, ni si les japonais parlent chinois. Dans la vitrine, une série de bocks et de mugs. L'un porte un dragon rouge et, dessous, le mot « Wales ». A côté, sous verre, une bouteille d'Heineken. Et, terminant la rangée, un bock en porcelaine à couvercle, avec des dessins militaires allemands, sous titré « Meine Dienstzeit », et le paysage de Trier. Sur les solives, des banderoles vertes aux marques « Finlandia », « Jack Daniel's », et « Grolsch Bier ».
Dehors, un violon joue le Beau Danube, on est dans une rue pavée, bordée d'immeubles coloniaux, dans la plus européenne des villes chinoises.
En fin d'après-midi, nous sommes entrés dans la vieille église luthérienne... en plein service. « Welcome to our church », a dit un jeune chinois en habits de messe blancs, bordés de violet. Salle pleine, trois officiants, deux femmes, un homme, et des chansons entraînantes, répétées plusieurs fois, avec des chorégraphies et des claquements de mains d'une complexité croissante. Puis ils sortent, on fait silence, une femme d'une quarantaine d'années s'installe sur le podium, et murmure doucement, en langues, dans le micro. Nous partons. Voici l'héritage des luthériens allemands. De l'autre côté de la rue, vieille église catholique, porte ouverte – il faut la pousser. Le hall est dans le noir, une jeune fille à l'accueil nous emmène vers la pièce vitrée sur la droite, où se tiennent une vieille dame au comptoir, et un vieil homme – le prêtre ? - allongé sur un lit. Nous demandons l'heure de la messe : dimanche 8h, si je comprends biens. Puis la jeune fille nous fait voir l'église, au deuxième étage. Un homme dort sur un banc, qu'elle fait lever pour allumer la lumière. Vaste salle voûtée, bancs en bois, crucifix doré sur l'autel. A gauche, un vieil homme priait dans le noir devant une grande vierge en manteau blanc.
5 octobre 2008
La mode en Chine est à l'Italie. Nous avons vu dans les rues beaucoup de gens qui portaient des sweat shirts zippés sur lesquels était marqué « Italia ». Pour la première fois, nous avons vu quelqu'un porter un sweatshirt « Germany » cet après-midi.
8 octobre 2008
A Berlin, les toilettes sont propres, lavées plusieurs fois par jour. En Chine, les toilettes sont sales. Différence culturelle. Mais je me sens plus confortable en Chine. Déculpabilisant : les toilettes sont sales, ce que j'y fais est sale, tout est normal. Non pas que la négation de la saleté par les toilettes allemandes me met mal à l'aise : ai-je bien le droit de salir un lieu si propre ??
9 octobre 2008
En allant vers le centre d'art 789, dans le bus 707, depuis le 3e ring road, nous voyons l'ambassade allemande à gauche : bâtiment moderne, élégant, style Bauhaus, carrés superposés, dans les couleurs locales, rouge et jaune.
De même que Berlin, ville administrative, mais pas centre financier, très étendue, très spacieuse, est devenue la ville cool, artistique, alternative, bobo d'Europe, Beijing pourrait être la ville artistique d'Asie. Moins chère que Shanghai, Séoul ou Tokyo, mais importante historiquement, légèrement périphérique. Immense, neuve et clinquante, artificielle ; et comme coincée dans un Xxe siècle interminable. Une « ville de l'an 2000 », cosmopolite, avec des immeubles en verre et des constructions nouvelles, de l'espace pour les vélos, mais aussi de vieux bâtiments industriels recyclés en lieux d'exposition. Lieu de pouvoir et de contrôle des masses, aussi – comme Berlin – de divertissement pour des gens dont la richesse vient d'ailleurs ; où l'on vit pour moins qu'ailleurs, si l'on sait y faire ; où l'on n'est pas au centre du monde.
Comme à Berlin, il est même encore à la mode de s'y mettre tout nu dans les musées.
Comme à Berlin, je me demande : est-il bon que le monde artistique soit si proche du monde politique – plutôt que des médias, centrés à Cologne et Shanghai.
10 octobre 2008
Mike, un couchsurfer allemand qu'héberge en même temps que nous notre hôte philippin, Alain, nous montre des photos d'Allemagne : vue du pont le plus vieux d'Europe, dans sa ville natale en Bavière ; chiens, couple dans les blés. Puis une image amusante : un lapin de Pâques (costume) qui manifeste avec un panneau « ich bin dagegen » au milieu d'un marché de Noël. Il n'a pas de travail en cette période.
Plus tôt, grand repas d'expats. Effrayant. Racisme et néocolonialisme : un groupe de douze, une seule chinoise (Béatrice, hôtesse de l'air), deux allemands, un philippin, deux français, une danoise, une canadienne, et des américains. Des commandes compliquées (pas trop épicé, végétarien, ceci, cela) ; puis le riz qui n'arrive pas, qui finit par arriver, trop tard, on le renvoie. Béatrice doit traduire, deux hommes se lèvent d'une table à côté pour trinquer avec nous – sympathiques, hospitaliers – la tablée d'expats soulève son verre avec un sourire en coin. Personne qui salue les chinois avec sympathie.
Tout ce petit monde, imbibé déjà de bière, va boire encore dans un autre bar, puis une boîte de nuit pleine d'occidentaux, quelques chinoises vaguement timides, américains ivres, un pogo commence, et je sors en avance pour protéger mes tympans.
Pourquoi ces gens sont-ils là ? La plupart donnent des cours d'anglais, parlent à peine chinoise. L'allemand revient de Corée du Nord : « je voulais voir de mes propres yeux, mais on ne peut rien voir, mais je suis content d'avoir vu qu'on ne peut rien voir. » Une autre allemande fait un master de finance, et son université la force à prendre des cours de chinois – la pauvre – alors que d'autres étudiants dans son université font le cursus tout en anglais. Une canadienne explique que son université de Montréal l'envoie pour coordonner les échanges et donner des cours d'anglais aux partenaires chinois. La danoise interrompte ses études pour venir enseigner l'anglais à Beijing ; un français me raconte, avec un air désabusé, qu'il est venu pour apprendre le chinois, mais qu'il est trop paresseux, qu'il passe la journée sur internet, qu'il fréquente uniquement des couchsurfers, et qu'il est terriblement déprimé. J'essaie de le soulager, en disant que la France va mal et qu'il est mieux là. Ca n'a pas l'air de beaucoup l'enthousiasmer. Il m'explique qu'il va partir en Asie du Sud Est, et prendre là-bas des cours de photo. « Random. »
13 octobre 2008
A Berlin, nous avions visité le musée juif, et lu les témoignages d'émigrés allemands partis pour Shanghai. La ville semblait alors infiniment lointaine. Depuis hier, nous sommes dans cet ailleurs oriental. Et plutôt à l'aise. Bien sûr, Shanghai 2008 n'a rien à voir avec Shanghai 1940. Rien ? Peut-être pas : ville commerçante, anarchique, ouverte. Et le dessin des rues, le climat, la chaleur (28 degrés, dix de plus qu'à Beijing, et sans doute 15 de plus qu'à Berlin), l'air légèrement humide.
La ville, après la longue traversée de la Sibérie puis de la Mandchourie, le transit par Pékin, puis la descente vers le sud, a dû leur apparaître comme une terre promise. Après la violence et le mal être de Beijing, c'est ainsi qu'elle nous apparaît.
16 octobre 2008
Nous sommes passés à Berlin, ville de l'art contemporain, puis à l'espace 798 de Beijing ; nous visitons maintenant la biennale d'art contemporain de Shanghai. Le thème est l'urbanisation, le titre « Translocalmotion ». La rhétorique, affirmation de Shanghai comme grande métropole asiatique.
Intéressant, toutefois, le début de l'exposition consiste en une série de travaux sur la Grand Place de Shanghai, People's Square. On voit des peintures d'étalage – nouveau consumérisme chinois, sorte de pop art à la Warhol, étiquettes reproduites des dizaines de fois et, plus intéressant, des livres réduits à leur tranche. Une vidéo qui montre un homme africain, grand, boîte en carton sous le bras, djellaba rayée, debout immobile au milieu d'une rue passante, entouré de visages asiatiques souriants. Puis il serre la main d'une belle jeune femme, téléphone portable à la main, et s'approche d'une autre, en perruque blonde. Atmosphère de thriller, mais aussi reconfiguration des rapports. Scène d'intérieur, l'africain porte un costume d'homme d'affaires, et la perruque blonde chante une chanson sensuelle dans une atmosphère bleutée.
Plus loin, figure fine et espiègle d'une voyageuse peinte par Liu Ye, grand montage de photos et dessins reproduisant des visages de chinois et d'occidentaux, cage avec des télévisions connectées à des caméras qui filment le public et des coussins verts, dessins bizarres montrant les connections entre « wô » et « nî », photo floue devant laquelle se fait photographier une belle jeune femme très maigre.
Remarquable : il y a beaucoup de texte en anglais dans les toiles et les installations vidéo : chanson de la blonde, phrases qu'un artiste superpose à des images de google earth : « she is from inside the extrication, She is from the bad luck, he sacrificed in the eve » - moquerie peut-être de l'anglais nécessaire, et du mauvais anglais des panneaux asiatiques.
Plus juste, à mon avis, cette installation de T-shirts rouges imprimés de noir et d'or, suspendus à de grosses cordes 1m80 au dessus du sol, et qui rappellent tous les vêtements que j'ai vu sécher dans la rue. C'est le seul qui semble vraiment partir de cette ville, et des formes esthétiques qu'elle développe. Mais l'art contemporain ne va pas dans cette direction. Preuve Ayşe Erken, germano-turque, qui présente une installation vidéo montrant un film shanghaïen diffusé dans l'avion lors d'un film sur Singapour, et proposé comme méditation sur le thème que l'artiste n'a pas le temps de travailler in situ. Un autre allemand produit les images floues photographiques retravaillées par ordinateur. Mais quelle est la fonction d'un tel événement ? Qui le paye ? Que veut-on y faire voir ?
Au passage, une vieille vidéo montre le port de Shanghai dans les années 30 ou 40 : les ballots descendent des treuils au rythme de Lili Marlene, puis un air de jazz swingué succède à la voix de Marlène, affirmant sans doute le cosmopolitisme essentiel de la ville.
Beaucoup plus intéressante est la série de sculptures proposées par Yue Minzin, Colorful running dinosaurs, une série de dinosaures de couleur vive, à tête humaine, arrangés le long d'un couloir, et rappelant les grandes galeries de l'évolution. Tout à l'heure, une jeune femme se faisait prendre en photo parmi les statues, jambe levée, cou tendu. La garde n'a pas bronché lorsqu'en reposant le pied par elle, elle a manqué de peu le petit dinosaure vert et violet qu'elle n'avait pas vu. Rires d'elle et de sa copine.
21 octobre 2008
Dans un magasine de voyage, nous lisons trois articles sur les capitales européennes de la bière : Bruxelles, Prague et Munich, bien sûr. Bocks d'un litre et bavaroises en costume, et 4 conseils pour l'Oktoberfest : plan ahead, go early, stay hydrated, shop around.
22 octobre 2008
Vu sur Rippongi Hills, à côté d'un jardin d'enfants au sol en mousse anti-chute, une église luthérienne moderne, avec au fronton, gravé dans la pierre, sola gratia, sola fide, sola scriptura.
23 octobre 2008
Fascination, toujousr, pour la 2e Guerre Mondiale : Nancy Huston lit un passage de son dernier roman, Lignes de faille, prix Femina 2006. Il se termine par un long chapitre où le narrateur est Christina, petite fille allemande en 1944, qui dans le bain joue à « Heil Hitler », imitant le salut nazi sur le mode comique avec sa copien. L'année d'après, Les Bienveillantes de Jonathan Littel, toujours la 2e Guerre Mondiale, et l'Allemagne, et les juifs, Hitler. Histoire hyper-polarisée, que ne veut-on pas voir ? Pendant ce temps, les italiens de Wu Ming écrivent Giap !, 54, et Manituana, déplaçant enfin le projecteur de l'histoire vers le Vietnam, la Guerre Froide, ou les indiens d'Amérique. Accompagnant le siècle nouveau d'un changement chronologique majeur : la Deuxième Guerre n'est plus l'événement principal dans l'histoire de l'humanité. Ce n'est plus en rapport à cet événement qu'on peut comprendre le monde actuel.
25 octobre 2008
Le diable, au début de Faust, apparaît d'abord sous la forme d'un barbet. Même après cela, n'a-t-il pas des traces d'animalité ? Les êtres humains n'ont pas cette possibilité dans les terres chrétiennes, et sont isolés du monde animal. Mais les réincarnations bouddhistes et les démons renard de Chine ou du Japon brouillent cette barrière entre les espèces. Et seraient-ils figures effrayantes de la dissolution finale ? A Pékin, Ming nous a fait voir un film où quelque déesse révélait son visage en arrachant son masque de chair : masse grouillante, une multitude informe et changeante, épouvantable. Est-ce la figure du diable, un tel grouillement sans forme et sans fin ?
31 octobre 2008
En route vers Shenzhen, nous dépassons, au nord de Kowloon, une énorme église luthérienne dédiée à Jésus Sauveur, accolée d'une école.
05 novembre 2008
Vestige peut-être d'une vieille amitié communiste germano-vietnamienne, je trouve dans une rue du quartier français d'Hanoï un « Kaiser Kaffee », sorte de Winstub ou Bierstub à colonnes et voûtes boisées, nappes à carreaux sur les tables et saucisses au menu, qu'on atteint au débouché d'un long corridor étroit. Même lumière, même intimité chaleureuse qu'en Autriche ou qu'en Alsace, si ce n'est que le poële est ici remplacé par la clim. Je demande en allemand « Milchkaffee » - le menu donne les noms des plats et boissons en trilingue ; mais la serveuse me regarde interloquée, je dois pointer sur le papier. Sept hommes à ma droite, asiatiques, boivent de grands verres de bière brune.
7 novembre 2008
La ville d'Hué semble étrangement populaire auprès des allemands : tout à l'heure, dans la cité impériale, un énorme groupe circulait entre les pavillons délabrés en allemand, et plusieurs personnes que nous avions croisées entre le phénix jaune et les courts de tennis de impériaux, parlaient aussi l'allemand. Nous venons maintenant de suivre deux cinquantenaires allemands, blonds, sportifs et bien préservés, dans la « boulangerie française » derrière Huong Vuong. Elle boit un nescafé, lui, le café traditionnel vietnamien, qui filtre lentement à travers un cylindre en métal.
27 novembre 2008
Dans le train vers le sud de la Thaïlande, en gare de Bangkok, plusieurs allemands débarquent dans le wagon. Nous en avons croisé beaucoup dans Bangkok. Gigantesques hippies chargés de sacs à dos qui, sans beaucoup de gêne, heurtent et cognent tout ce qui les entoure. Mais le plus surprenant, c'est l'extrême manque de collégialité de ces voyageurs. Tout à l'heure, une géante à chapeau, penchée sur le siège devant nous, passait à son copain, sur le siège derrière nous, son gros sac à dos vert, par dessus nos têtes, sans demander préalablement pardon, sans nous demander de coopérer, comme si nous n'étions pas là. La réflexion préalable est aussi déficiente : deux vieilles femmes scandinaves, chargées d'une valise écossaise gigantesque, essayaient de la glisser sous un siège, bloquant le couloir, puis une fois la chose accomplie, regardent le bout de wagon où les gens stockent leurs bagages, poussent un gros « ah » d'étonnement, et reprenennet leurs ahanants efforts pour extraire la valise de sa gangue en skaï rouge, et la mettre avec les autres. Enfin, nous voyons s'approcher une sorte de polonaise anglophone lente aux cheveux longs, l'air perdue dans la fête et la drogue. Elle nous demande « are you sure you're supposed to be here, 9 and 10 ? » On confirme que ce sont nos places, et Philip ajoute « are you sure you're in carriage 1 ? » Elle reste interloquée, puis vérifie sur les billets que transporte avec lui son consort en débardeur et casquette : « oh, carriage two ». Puis comme deux animaux perdus, lentement, les deux personnages reprennent leur pénible marche en direction de l'autre wagon. Les seuls asiatiques sont deux japonais derrière nous, et la jeune fille qui, très maquillée, contrôle nos billets.
Sur la droite, à côté du couple au sac, une autre allemande, modérément hippie, lit un magazine féminin. Je vois des images de femmes blondes en jupes et manteau d'hiver. Le texte en gros caractères dit « Trendige Mode für starke Frauen. »
1 décembre 2008
sur une colonne moussue du cimetière protestant de Penang, je lis « Herre, dein Wille geschehe ! » Les allemands que nous croisions dans les trains d'Asie du Sud Est, ainsi, ne sont pas les premiers voyageurs à s'y rendre. Inscriraient-ils cela, si le choix leur en était laissé, sur leur tombe, j'en suis moins sûr.
4 décembre 2008
Bizarrerie de l'Europe médiévale, alors que toute l'Asie, de la Chine au Moyen-Orient, commerçait abondamment, se développait en vase clos la petite chrétienté, sur sa péninsule, dans le far ouest du monde civilisé.
7 décembre 2008
Dans un restaurant de Melaka, les haut-parleurs diffusent les pires ballades des années 90, « I never wanna see you cry », « I wanna walk with you on a mountain », etc. Mélange sirupeux de bons sentiments, de tendresse romantique niaise et d'harmonies simplifiées. Philip et moi critiquons à souhait, jugeant que les Spice Girls et Britney Spears ont sauvé la musique pop. Et je pense alors : cette musique épouvantable est celle de l'après mur de Berlin, de la fin de l'histoire, de la fin de siècle décadante ; et Berlin, ville réconciliée, capitale du bon sentiment, du gentil, de l'artiste bobo, du gentil punk et de l'appartement pas cher, est la ville phare de cette décennie. Les amoureux de Berlin, ceux qui voient là le phare artistique du futur, ont ce noir secret, qu'ils aiment aussi Céline Dion, Mariah Carey, « Near, far, wherever you are », et la passion mortifère de Titanic. Est-ce frayeur devant le nouveau millénaire qui s'ouvre et refus nostalgique d'avancer ? L'Europe ne s'est-elle pas donnée précisément cette ville comme coeur culturel officieux, se condamnant à mort par là-même ?
Céline Dion pousse la ballade quelques décibels plus haut dans mes oreilles, alors que je lis le paragraphe à Philip, et j'entends le déchirant « we'll stay forever this way », stase désespérée d'une génération perdue.
9 décembre 2008
Nous visitons à Singapour des collections d'art contemporain plutôt médiocres et sans grande originalité. Puis nous voyons sur un panneau que les toiles exposées proviennent de la collection Daimler Benz, et sont généralement exposées sur la Potsdamer Platz. Est-ce une des raisons secrètes de ce kitsch, que l'art berlinois survit en réalité sur les deniers d'un grand fabricant de voitures ? L'exposition s'intitule « Is it tomorrow yet? » Apparemment, les oeuvres exposées montrent qu'hier, que les vingt dernières années, nous montrent clairement la voie du futur.
14 décembre 2008
A Perth, nous sommes hébergés par Clare et Leah Schulze, amies de Philip, issues comme lui des vieilles familles allemandes d'Australie du sud. Filles de pasteur. Elles nous a ce matin conviés au service religieux qu'elle organise pour sa « community church », dans un faubourg de Perth. Organisation très élégante, en style Taizé oecuménique, avec powerpoint et rétroprojecteur à l'appui. La congrégation se compose de transfuges chrétiens, qui délaissent un moment leur dénomination d'origine pour se rassembler de cette façon, puis retournent à leurs églises respectives. Elle se situe dans la tradition luthérienne, allemande, non seulement par l'introduction d'un hymne du psautier luthérien, mais aussi par le mélange d'ouverture formelle et d'intelligence théologique.
Chants plutôt bien choisis dont un qui mentionne le lancement de l' « opération Jésus » par Dieu pour mettre un terme à l'empire du diable. Humilité des prières, humour léger, grande acceptation. Dialectique de la réflexion : réfléchissant à la période de l'avent, Clare commence par évoquer le désir de se retirer sur une île ou sur une falaise, pour méditer sur la venue du seigneur, et résister au consumérisme ambiant. Mais – la réflexion se poursuit – c'est avec les pêcheurs, avec les consommateurs effrénés, que se trouverait le Christ, et non dans le désert, coupé du monde. Puis un montage où des illustrations d'un livre pour enfants sur la naissance du Christ alternent avec les articles de la déclaration des droits de l'homme.
Ces héritiers de pasteurs allemands, fuyant la Prusse au 19e siècle, évangélisant les aborigènes et développant la culture du vin dans la vallée de la Barossa, sont le noyau de la vie spirituelle en Australie. Germes d'Europe, de liberté, de christianisme, poussant sur le sol étranger.