France


22 mars 2008

Petit, quand j'étais au Grau du Roi, je regardais la mer, et j'étais convaincu qu'avec assez d'attention, je finirais par voir l'Afrique. On apercevait tout juste Sète, et ma grand-mère disait toujours « Sète, c'est une île. » A ce moment, pour moi, qu'on puisse apercevoir une île, c'était un petit miracle, et j'imaginais que Sète était déjà presque en Afrique.

Il me reste six mois quasiment jour pour jour dans ce pays. Je ne sais pas si je peux dire mon pays. C'est d'ailleurs pour ça que je le quitte – ou disons, que je suis capable de le quitter, mais aussi que je le souhaite. Je ne suis pas sûr que la France soit mon pays. Je n'ai pas de nous.

J'ai des nous plus petits, la famille – et c'est à peu près tout. Je n'ai pas de nous français, pas de nous camarguais, pas de nous lorrain, pas de nous strasbourgeois, pas de nous parisien, pas de nous gavot, pas de nous gardois, pas de nous parmesan, pas de nous luxebourgeois. Mon seul nous, c'est l'Europe, et c'est pourquoi, je crois, je suis prêt à vivre en Australie.

Je pose donc un problème à ce journal de voyage, ici, dans le premier passeport : quel est mon nous ? Qui a pour corrollaire : à quel nous veux-je adresser ces carnets, pour quel nous veux-je écrire ?

Et j'ouvre ce carnet face à la mer, au Grau du Roi, sur la jetée de la rive droite, avec le bruit des vagues. Ici, mes parents se sont rencontrés. J'avais voulu devenir marseillais d'adoption, j'aurais voullu passer ma retraite à vintimille, et vivre à Naples : oui ! Mais c'est ici, près du chenal, sur la plage du Grau du Roi, que mes parents se sont rencontrés. C'est là qu'a débuté ma pré-vie. C'est le lieu que je cherche, et c'est celui que je quitte. En écrivant cette phrase, il y a quelque chose dans ma poitrine qui se serre. A ça, je renonce, aux vagues du Grau du Roi, vertes et calmes, à la vue sur la Grande Motte et sur les monts de l'Hérault, à l'horizon sétois. Je ne traverserai pas la baie, je n'irai pas non plus de l'autre côté, vers la pointe, vers l'Espiguette où mon arrière grand père a dressé le phare, et plus loin, vers les salines, vers le Rhône, et vers les Saintes où le christianisme a débarqué dans ce pays, vers Marseille au-delà, vers la plus vieille ville de France.

Et ni vers les montagnes, en remontant le chenal, dans les remparts d'Aigues-Mortes, à Nîmes où mon père étudiait physique et mathématiques, où ma mère adressait des lettres adolescentes, et vers Collias, un peu derrière, au pied des Cévennes, à côté du Pont du Gard, non !

Tout ça, j'y renonce. Ici, je ne viendrai pas, je ne retournerai pas dans ces endroist qui signifient pour mes ancètres, et qui signifient pour un nous très antique. Saint Louis, les croisades, et les romains, même avant, les grecs. Je renonce à la Méditerranée.

Passant le long du quai, je vois une bouche d'égout marquée Pont-à-mousson. J'y déchiffre un signe : il y avait un destin qui voulait faire se rencontrer mon père et ma mère, puisqu'on écrit Pont-à-mousson sur une plaque ici. Je lis, je vois partout saturation de sens. En Australie, je n'aurai plus cela, plus le sens inscrit déjà partout. Forme de liberté ? Je ne sais pas encore. Il faudrait peut-être dire, une liberté comique au lieu d'une liberté tragique.

29 mars 2008

En prépa, le programme d'histoire avait deux volets : le monde, et la France. On étudiait plus spécifiquement l'histoire française, en la détachant, surtout, de l'évolution mondiale. On allait jusqu'en 1989, bicentenaire de la Révolution, chute du mur de Berlin, fin, peut-être, de cette histoire française détachée. Depuis 1989, il faut, pour comprendre la France, comprendre aussi le monde.

14 avril 2008

Voisinage maritime : après avoir atteint l'Australie, si je poursuivais mon voyage, il pourrait me ramener en France. En Nouvelle Calédonie. Je ne sais pas pourquoi cette île est aussi la France, ou si d'ailleurs c'est aussi la France, et dans quelle mesure. Mais je sais que la France et l'Australie, par cette île, ont une frontière maritime.

(Elles en ont une autre, encore plus au sud, sur l'Antarctique, où j'ai rêvé un jour que j'allais m'installer, dans une cité portuaire séparée du grand froid par des murailles épaisses.)

18 avril 2008

TGV, « le fleuron de l'industrie française » - « it's one of our big technological successes », ai-je dit à John et Ilene, avant de monter dans le Paris-Nîmes. Une des technologies qu'on exporte. Au Japon, le Shinkansen est-il d'inspiration française ? Et les nouveaux express Pékin-Shanghai ?

Mais aujourd'hui, je me suis mis à réfléchir aux motivations politiques de l'invention. Pourquoi la France a-t-elle inventé le TGV ? Huit heures de Nîmes à Paris par la montagne ou par la vallée du Rhône. A présent, trois heures. On pourrait faire un aller-retour dans la journée. Rapprocher les provinces. Mais aussi la forme du réseau, centré sur Paris. Pas un seul TGV province-province. Le but, la fonction de ce train, c'est de rapprocher les morceaux du territoire, en les structurant en étoile autour de Paris. Que Rennes, Bordeaux, Montpellier, Marseille, Grenoble, Strasbourg et Lille soient toutes à égale distance du centre. Oh, bien sûr, pas totalement, Lille est un peu plus proche, Marseille un peu plus loin, mais l'ordre de grandeur est similaire. En outre, avec la politique tarifaire, billets Prem's et offres spéciales, tout est au même prix. Le TGV, donc, indifférencie les régions, qui deviennent du « non-Paris », proche de la capitale, avec de légères variations (soleil, mer, vagues), mais sont toutes le déploiement en étoile d'un territoire régional autour d'un terminal urbain, relié par un couloir TGV à la capitale.

L'espace français s'y prête, mais aussi l'idéologie nationale, terrienne ou je ne sais quoi, canalisée (le train décide où l'on va ce qu'on voit, ce qui reste caché). L'Angleterre a, pendant ce temps, développé les avions low cost, et l'Allemagne, les systèmes de voitures partagées.

Mon désir de relier l'Australie par train, dans une certaine mesure, est donc encore déterminé par une idéologie française, autant que par mon grand-père cheminot. Mais il y avait d'autres options : bateau, billet d'avion avec escales, bus ou stop.

(Drôle, comme on prend parfois une décision – partir en Australie par le train, plutôt que par un avion direct – et la décision nous apparaît comme choix de l'unique alternative... et puis tout à coup surgissent tous ces autres possibles, auxquels on n'avait pas d'abord pensé : bus, voiture, ou bateau.

26 avril 2008

Mon projet de blog s'intitule « Voyage aux Antipodes et considérations sur la Révolution française ». La révolution française. On m'en a rebattu les oreilles, comme on dit, liberté, égalité, fraternité. Les droits de l'homme, et l'universalisme républicain, la méritocratie, l'éducation, les mêmes droits pour tous. Aujourd'hui, je suis profondément déçu par mon pays. Platement déçu. Parce que l'écart entre les promesses et la situation réelle, corruption, mensonges, domination, privilèges et discrimination, me pèse, me dégoûte. Oui, mais aussi pour d'autres raisons que je dois comprendre.

Une perversion dans l'équilibre des pouvoirs – réels, non formels - et le système éducatif, qui sert le pouvoir [préciser ce que j'entends par « le pouvoir ». Système de sélection, théoriquement égalitaire, mais privilégiant de fait les enfants de riches instruits. Système de sélection très dur, au lycée, puis surtout dans les classes préparatoires, dont le résultat est :

  • compétition hyperdéveloppée, plutôt qu'esprit d'entraide : on met les meilleurs en compétition, plutôt que de mettre en rapport plus forts et plus faibles. Ils vont difficilement coopérer, car le nombre de places est limité.

  • sélection très stricte, et privilèges à la clef : système de concours. Ceux qui réussissent acquièrent des privilèges quasi-nobiliaires (normaliens, polytechniciens, centraliens). L'appartenance à l'école est un titre à vie, l'Ecole n'apprend pas des compétences, mais un mode de vie, et surtout, elle apporte un réseau, et un statut qui demande le respect. Donc, on fabrique une classe de privilégiés. La limitation du nombre des postes est justifiée par les privilèges (on ne peut pas donner à tout le monde), mais l'existence même des privilèges est contraire à l'esprit d'égalité. Cependant, ceux qui réussissent sont, de fait, privilégiés, bénéficient de meilleures conditions objectives, et parviennent donc à des positions de puissance et de décision, qui deviennent justifiées par des qualités personnelles que, dans une certaine mesure, ils possèdent réellement. S'ils critiquent le système, on les accusera d'ingratitude, car l'esprit critique est formé par ce système.

  • Et quant à ceux qui n'ont pas réussi les concours, qui ne jouissent pas des privilèges, et pourraient se rebeller contre le système à créer des inclus et des exclus, ceux-là, même s'ils n'ont pas intériorisé l'échec, et n'attribuent pas à leur propre médiocrité l'absence de tels privilèges, on leur dira toujours « c'est par ressentiment, c'est parce que vous n'avez pas réussi. » Ce qui est vrai : car s'ils avaient réussi, qu'ils jouissent de ces privilèges, ils n'aéuraient pas d'amertume, et nulle raison de se rebeller.

Solution ? Supprimer ces privilèges éducatifs, institutionnels. On dira : c'est là qu'est le génie français. Mais c'est une idéologie nationaliste au profit d'une certaine classe, dont les enfants bénéficient ainsi de ces privilèges, et d'une certaine ville, Paris, où tous ces pouvoirs sont concentrés.

Finalement, ne valait-il pas mieux conserver l'Ancien Régime où, du moins, on pouvait se consoler de sa condition, en l'attribuant au hasard de la naissance ?

[Car ayant travaillé quelques années dans l'université, ayant vu les coulisses des corrections de concours, j'ai pu saisir très nettement l'arbitraire des évaluations. Certes, le premier de ces grandes écoles est exceptionnellement doué ; le deuxième et le troisième aussi. Mais la différence entre le 70e et le 78e est inexistante, entièrement dûe au hasard de la répartition des copies. Pourtant, le 70e est normalien, le 78e troisième collé. Certes, ultimement, le hasard est au fondement de toute aristocratie. Mais le système à l'origine n'avait-il pas pour ennime l'aristocratie ??]

7 juin 2008

Concours, république et démocratie. hier soir, à l'anniversaire de Jean-François, des universitaires théoriquement brillants se plaignaient d'une surcharge de travail – et pour cause, ils devaient corriger les dissertations, les versions, les commentaires, du CAPES, de l'ENS Lyon, de l'ENS d'Ulm. Et bien sûr, c'est la face noire des concours, les corrections. Le temps passé par les plus brillants à corriger les copies de concours. Pas même l'anxiété, le destin qui change pour un demi-point, la responsabilité qu'entraîne la position de juge ; mais l'usure des esprits, qu'on paye pour évaluer, sélectionner, trier ceux qui les remplaceront, plutôt que pour comprendre, analyser le monde.

Et c'est une des formes de la République, un système auto-reproductif, avec des postes assignés, des cases – et dont un des principaux soucis consiste à justifier le choix de fixer tel ou tel poste à tel ou tel individu. Si la France était une démocratie, ces concours absurdes existeraient-ils ? Combien d'argent, de temps, d'énergie gaspillés pour former une élite qui, dès sa formation achevée, s'épuise à gérer sa propre reproduction. Ne vaudrait-il pas mieux que juge le peuple ou l'argent, la chance même, que de former ainsi jurys et commissions dans le cadre desquels la chance joue, malgré tout, mais qui surtout, parce qu'ils ont l'apparence de la justice, figent le système en place, étouffent les possibles, essouflant chacun.

Méditer l'incompréhension totale des australiens devant le système des concours et des grandes écoles. Quand j'ai dit à Philip que l'âge limite pour entrer à la rue d'Ulm était de 23 ans, réponse immédiate, avec les sourcils levés : « Is that even legal? »

17 juin 2008

Importance culturelle de la France : je lis le livre d'Andrew Ford, présentateur musical sur ABC classic, Illegal Harmonies. Il mentionne, dans cette histoire de la musique au 20e siècle, un nombre considérable de français : Ravel, Debussy, Messiaen, Boulez. Mais, jusqu'à la page 150, pas un italien, pas un espagnol, pas un latino, pas un asiatique, africain, moeyn oriental. Bien sûr, quelques anglais, allemands, américains.

Paris, donc, apparaît comme une ville importante , musicalement. Jusqu'aux années 50, en tous cas. Mais aujourd'hui, je connais un compositeur, formé à Paris, qui veut partir en Angleterre, et pourquoi pas l'Australie.

28 juin 2008

Avant-hier à Montpellier, très fort sentiment d'être en province, et malaise de cela. C'est peut-être la première fois. « Pourtant, c'est joli Montpellier, » dit tout le monde, et c'est vrai. Mais je ressentais, chez les gens, cette espèce de résignation molle, parfois grommelante, à la domination. De Paris, du monde. Un léger mauvais goût qui se prend au sérieux. Des petites gloires locales qu'on monte au pinacle.

Et puis, ce matin, cette idée : est-ce que la France ne serait pas en train de se provincialiser ? Devant province, belle province, du monde globalisé. Mais la pensée s'articule ailleurs, et les choix se font ailleurs. Après les discussions de mercredi soir, chez Perrine Kossman : tout le monde autour de la table était d'accord, tous ces intellectuels hellénophiles « quand on m'aborde en anglais dans la rue, je réponds en allemand, ou en grec. » Union des provinces, qui résistent au centre occidental anglophone.

Je dois encore creuser.

15 juillet 2008

Problème de transporteur. J'avais trouvé sur internet les coordonnées de la société Sitracom pour transporter mes livres et mes cartons jusqu'en Australie. Leur devis était intéressant, 250 € du mètre cube depuis leur entrepôt du Bourget, et les gens au téléphone étaient plutôt aimables. Mais j'ai trouvé sur internet des forums pleins de témoignages déconseillant les services de sitracom (surtout dans les DOM). Colis égarés, détériorés, retards, frais imprévus. Me voici donc à la recherche d'un autre transporteur, avec 20 cartons 45*30*25 dans la chambre.

25 août 2008

Venise est plein de français. Tout à l'heure, en marchant depuis la Ferrovia vers le Rialto, j'ai croisé quatre ou cinq petits groupes de français – sans doute, il y en a beaucoup plus parmi les touristes. Il faut dire que, depuis la France, Venise n'est pas très loin. Dans le compartiment du train de nuit, pour venir, nos compagnons avaient tous des liens avec la région : un homme d'une quarantaine d'années était marié à une italienne d'Udine, un jeune blond de 25 ans venait voir sa famille maternelle, entre Venise et Trieste. Ils comparaient la durée du voyage en voiture ou en train – 10 ou 12 heurs pour le premier, par l'Allemagne et la Suisse ou par les tunnels des Alpes, 14h pour le second, mais c'est moins fatigant. Sans compter Ryan Air, qui fait Beauvais-Trévise.

En quittant la France, je ne quitte pas seulement la France, mais aussi Ryan air et Venise à 14 heures de train, 70€ l'aller-retour en billets Prem's, un jour et demi de sdalair à mon tarif actuel, dix ou douze places de cinéma, la facture de portable ou de cigarettes mensuelle que je n'ai pas. « Gave-toi des choses qui te manqueront là-bas », m'a dit Nathalie. Peut-être Venise. Je suis assis par terre, au bout d'un sottoportego, près d'un canal. Je vois pour la première fois, dans l'eau verte, en dessous d'un canot, nager les petits poissons. Bruits de marteau, de radio, voix en diverses langues, et le parfum – léger pour l'été – du canal et de l'eau stagnante. Aujourd'hui, je suisn un peu mélancolique à l'idée de quitter l'Europe.

Et pourtant, je parlais avec Angela, qui me dit « I would feel claustrophobic here. » Pas à Venise, à Paris. Manque d'espace, manque de vide. La ville est belle, on y vit bien, les glaces, à condition d'avoir l'oeil, et le café, les pizzas, les pêches sont meilleures aussi qu'ailleurs. Et tout est beau. Mais quand on a, de la sorte, apprécié l'existence, le goût des choses et le plaisir des yeux, cela suffit-il ? Peut-être...

A Paris, je vivais, je crois, dans la nostalgie permanente, et me lamentais de ne pas être en Italie (Grèce, Marseille, sud, beauté, Vienne, en somme, ailleurs.) Sans pour autant faire mes bagages, et partit vivre, ici, wo die Zitronen blühen. Poi, quand je vois les jeunes, et les vieux, que je lis ce qu'on y publie, la vie semble étouffante autant qu'à Paris, plus même, si plus agréable. Alors allons, partons vers les grands espaces, où l'on respire. Adelaide, Melbourne, et le désert ou le bush des antipodes.

J'espère, là-bas, n'avoir pas cette nostalgie du sud ; puis, tout de même, à Melbourne, on voit des citronniers dans les jardins, qui fleurissent.

2 septembre

Dijon : je suis en France, mais aussi dans la capitale possible de mon royaule imaginaire, Lotharingie, bande intermédiaire entre la France, l'Allemagne et l'Italie. Je rentre dans la cathédrale « I love it », puis j'ajoute « plump ». Opulence des formes arrondies, des couleurs aussi, le choeur est légèrement jaune. Puis je me tourne vers l'immense jeu d'orgues baroque, et les angelots sur nuage au dessus de la porte. A droite, un tombeau de marbre rose, avec la statue d'un duc de Bourgogne et, sur le coté, la statue métallique d'une femme éplorée tenant des roses à la main, qui s'effondre sur le tombeau. Plus au fond, c'est un ange  à l'horizontale qui tient la chaine du baptistère et, de l'autre côté, la tombe de JB Lecoux de la Berchue est appuyée sur des pattes de lion.

Baroque, donc, pas l'austère symétrie de Versailles, ou la griseur parisienne. en arrivant en train, j'étais émerveillé par le paysage de collines verdoyantes, le même qu'en Lorraine, ou qu'en Sarre, qu'au Luxebourg ou qu'au Piémont. Le baroque de l'église évoque la Belgique, et les gens d'ici, comme les belges ou les suisses, parlent un français bizarre, qui sonne comique et qu'on entend peu. Leurs corps sont expressifs, avec des gestes un peu trop brusques et trop marqués.

Y aurait-il, encore, dans l'inconscient français, quelque chose comme un rejet de la bourgogn ? Après tout, la France a gagné des guerres sur eux. Faudrait-il reconstruire une mémoire alternative, de cette France de l'est, opulente et baroque ?

4 septembre

Se retirer d'un lieu, doucement, pour aller vers un autre. En prenant mon temps, je dis au revoir à Paris. J'ai pris un café, tout à l'heure, à l'Autre café, rue Jean-Pierre timbaud, où j'allais très souvent au début de ma thèse. En face, le 49 rue Jean-Pierre Timbaud, où j'avais visité, pendant l'agrégation, un studio qui m'avait plu, mais que je n'avais pas eu. Ironie d'une ville où l'on est bien implanté, juste en dessous, l'ex de Julie, Yves Arcaux, a ouvert un café littéraire, l'Ogre à Plumes, apparemment assez célèbre – y sont venus Podalydès et David Barnes, directeur du théâtre cirque où m'avait amené M. Erbsland, à Strasbourg, pour un mémorable Roméo et Juliette. Avant, je me suis arrêté pour manger un Giant au Quick du métro Belleville, où j'étais allé avec Ahmed – et par nostalgie de mon enfance où j'allais chez quick. A présent, je suis sur la « place à bobos », qui fait l'angle St Maur-Oberkampf, haut lieu du branché 90s, fréquenté toujours par des trentenaires à la mode. En face, l'immeuble où vivait Yannicke Chupin, violiste des Sorbonne Scholars. A côté, le bar Meccano, où j'ai revu pour la première fois Julien Ruhl à Paris. L'immeuble où Sacha Nguyen, l'ami d'Héraklès, avait trouvé un studio qu'il avait finalement décidé de ne pas louer. Juste au dessus de la coopérative italienne où, longtemps, je n'ai pas osé rentrer, jusqu'à cette année. Puis le magasin de fleurs où, deux fois, j'ai acheté pour Alain des bouquets de roses, pendant ces quelques semaines de passion brûlante. Et derrière moi, le « célèbre café charbon », où j'ai passé du temps, le bar où j'ai pris un verre avec Alain, le Sher Khan dont me parlait toujours Jean-François, où nous avons pris un dernier verre avant de nous séparer, le hammam où je suis allé juste une fois, la rue de Ménilmontant où j'ai acheté meubles et lit, l'appartement de Valérie Robert, la collègue germaniste de Jean-François ; celui d'Elise Mignot. La bague de Kenza, la librairie du monde arabe, et d'autres itinéraires, d'autres souvenirs, d'autres magasins, bars et restaurants dans lesquels je suis allé, devant lesquels je me suis arrêté, que je quitte, auxquels je commence à dire au-revoir. Adieu ?

5 septembre  2008

Je poursuis mon exploration nostalgique de Paris. J'ai traversé la Seine au pont Mirabeau ce matin, après avoir remonté la rue Chardon Lagache depuis l'ambassade du Vietnam. Puis j'ai pris le RER C jusqu'à Notre-Dame. Passage devant la librairie russe, passage devant les deux tibétains, le Pema thang et le Lhassa, passage devant le Minh Duc, la libraire « Présence africaine », les caves Ex Cellar, le bazar des Ecoles, la place de la Montagne Sainte Geneviève, La Méthode et Les Pipos, la Madeleine de Proust, Henri IV et Saint Etienne du Mont. Je prends maintenant, toujours par nostalgie-reprise, un chocolat à l'ancienne à la Madeleine de Proust. Entre temps, les prix ont monté : 8€40 !

Je remarque, à propos de ce pélerinage d'au revoir, que ma principale impulsion est de m'arrêter pour manger. Je dois m'en souvenir pour mon roman sur la France et la gourmandise, Aigues Mortes ou le Centre du Monde, que je prévois d'écrire à Melbourne.

10 septembre 2008

Aujourd'hui, lors d'un déjeuner à « la Maison », brasserie de la place Saint Ferdinand, mon père m'expliquait comment l'Australie n'avait pas encore à se poser les problèmes que connaissait l'Europe en plein – prise de conscience que le modne est fini, épuisement des ressources, nécessité de changer de mode de vie, etc. Mais qu'elles se poseraient là-bas comme ici, que l'Australie devrait aussi développer la conscience écologique, etc. J'essayais d'expliquer que, chez les australiens que j'avais connus du moins, la conscience écologique semblait assez nettement présente, et que notamment, la sécheresse chronique avait pour conséquence une prise de conscience assez forte de la finitude des ressources. Il m'expliquait, très sûr de lui, qu'on était encore là-bas au premier stade de l'écologie, l'écologie par choix, je suis végétarien parce que je n'aime pas la viande, etc. Comme si la France était beaucoup plus avancée dans cette voie...

Mais surtout, j'étais frappé de l'assurance avec laquelle il m'analysait les futurs problèmes australiens... sans avoir jamais mis les pieds là-bas.

11 septembre 2008

Apologie du réel, justification du pouvoir, et soumission face à l'autorité : voici quelle était l'attitude, hier, de mon père, face à la nouvelle du refus par les rapporteurs de ma thèse de me laisser soutenir. J'ai critiqué, plusieurs fois, dans mes cours même, ce que j'appelais le « catholicisme ambiant » dans le monde intellectuel français. Croyance quasi-magique en certaines formules, catéchisme appris par coeur, et soumission des laïques aux jugements des clercs confirmés. rien d'un sacerdoce universel, ou d'un esprit de libre examen. Pas de respect pour les interprétations de l'individu. Soumission systématique aux jugements du pouvoir.

Heureusement – peut-être à cause de ces atavismes forts – la France génère aussi parfois de grands penseurs critiques et résitants. Alain, Foucault, Bourdieu, etc.

Peut-être est-il encore pertinent, pour ce pays, de penser l'axe éthique « résistant / collabo » ?

13 septembre 2008

Au musée d'Evry, découvert avec stupeur l'oeuvre mystique de Marie d'ailleurs (Madeleine Schlumberger) : autels baroques et bras de poupées en ex-voto, christs baroques et torches en corail, coquillages et clarisses au balai dans des boîtes en verre. Marie d'ailleurs, alias Madeleine Schlumberger, naît alsacienne en 1900. Puis elle s'installe à Paris et finit ses jours en Provence, à côté d'Antibes. Ses influences, ou ses territoires symboliques, ressemblent étrangement aux miens : germanie du sud (Alsace, Bavière, Autriche, Suisse), Provence, Naples et Sicile. Territoires du baroque est-européen.

Peut-être est-ce ainsi que je devrais articuler mes origines, pas françaises, mais baroques est-européennes ?

20 septembre 2008

Coïncidence, le jour du départ, Philip et moi suivons quelqu'un depuis la vitrine du « Bonheur des îles », parfumerie religieuse créole boulevard de la Villette, jusqu'au siège du Parti Communiste. Et nous allons maintenant voir Paris de ce point de vue – littéralement – sur la terrasse : béton brut, logements sociaux au premier plan, tour Eiffel, Montmartre, et la Défense au loin.

Passage quai de Valmy : magasin hifi, petites radios multicolores à 219 €, puis magasin de « plantes stabilisées », durée de « vie » douze mois pour les fleurs, quinze ans et plus pour le reste. Aucun entretien, tiennent sans eau ni lumière. Prix à l'avenant. Je me rends compte, il y a des endroits où ces magasins, littéralement, n'existent pas. D'autres où ces magasins font rêver.

Sans compter qu'au Cambodge ou au Vietnam, on vit plus d'un mois sur le prix d'une petite radio rose ou verte en plastique achetée Quai de Valmy, 75010 Paris.

Départ, Gare du Nord, 20h46. Avant, pot au « train de vie », face aux rails de la gare de l'est, avec Jean-François, Pierre Agut, Belen et Radu – retardé par un métro bloqué. On annoncent maintenant le départ du train, qui dessert Blefeld, Hannover et Berlin Hauptbanhof.

Tout à l'heure, geste symbolique, j'ai jeté mon pass navigo dans une poubelle de la gare de l'est. « I'm no longer a parisian. » Mais le temps était magnifique.

Une fois passé Sarcelles, puis Gonesse, j'ai fermé la fenêtre, et me suis assis dans l'étrange environnement du compartiment. Je quitte mon pays, je suis un peu triste, et je me dis, malgré la préparation, le réflexion, les visas et les sacs organisés, que je ne sais pas vraiment ce qui m'attend.

20h46, départ. 22h30, Quevy, le train s'arrête. Je crois qu'on est en Belgique. Au revoir la France. Nous avons traversé le Nord : usines éclairées, Saint Gobain, des entrepôts, quelques églises gothiques éclairées d'une lumière orangée, Saint Quentin, Chalmy, confins de la France et de la Wallonie. Je ne connais pas notre itinéraire précis. Mais nous avons maintenant quitté la France, et les rails nous entraînent vers l'est.

21 septembre 2008

Sur le Ku Dam, à Berlin, Maison de France, un institut français, sous lequel se trouve l'entrée du cinéma « Le Paris ». Bizarrement, on y projette Gomorrha. Est-ce parce que la France est la patrie du cinéma alternatif ? Ou par connexion latine ?

23 septembre 2008

Au musée juif de Berlin, découverte à propos de ma patrie mythique, la Lotharingie : ses frontières correspondent à peu près à l'Ashkena juif, comprenant la vallée du Rhin, l'Italie du Nord, et certaines parties du nord de la France.

24 septembre 2008

Signes de la France à Varsovie : gigantesque affiche publicitaire pour un parfum sur la place centrale, une femme blonde en robe rose, avec derrière elle une tour Eiffel à droite, et la vue parisienne depuis un balcon de Passy. Dans une des petites rues du centre, une « boulangerie pâtisserie » dont je n'ai pas examiné la vitrine. Et c'est tout. La France, vue de Varsovie : luxe et pâtisseries, donc.

26 septembre 2008

Philip et moi dînons dans un restaurant vaguement à la mode au centre de Moscou, sur l'Arbat Ulitsa. On y passe en bande son de la musique parisienne lounge, une voix de femme qui répète « c'est l'étoile d'or ». tout à l'heure, autre chose. Avant ça, dans l'après-midi, j'ai vu dans une rue derrière la galerie Tretiakov un poster annonçant un concert de Mireille Matthieu, puis sur les boulevards, un autre pour Patricia Kaas. voici donc où les popstars françaises vendent leurs disques : en Russie. C'est là qu'elles ont une deuxième vie. C'est là qu'on écoule cette insipide chanson parisienne soufflée – laquelle, dans un restaurant moscovite, par dessus les accents du russe et l'odeur du borsch, acquiert une classe qu'elle n'avait pas dans les bars de Bastille ou Jaurès.

28 septembre 2008

Colère immense, il y a deux jours, contre la bêtise française. Une thésarde que j'avais rencontrée lors de stages théâtre organisés par le CIES, Juliette Salabert, spécialiste de littérature chinois contemporaine, m'écrivait qu'elle ne serait pas en Chine, parce que du jour au lendemain, le rectorat l'avait assignée dans un collège au fin fond du 93. Elle enseigne à des adolescents de 13 à 15 ans des programmes de littérature et de grammaire qu'elle n'a pas préparés, le rectorat l'ayant convoquée la veille de la rentrée. Pour ne rien arranger, c'est Ramadan, dit-elle... mais passons.

Cette fille a passé quatre ans d'études à découvrir la littérature chinoise contemporaine. Elle a vécu plus d'un an à Pékin, parle couramment l'anglais et le chinois, s'exprime avec aisance, et pourrait admirablement communiquer en de nombreuses circonstances avec efficacité dans chacune des trois langues qu'elle connaît – le français, le chinois et l'anglais. Par manque d'argent, les université dans lesquelles elle avait postulé n'ont pas eu de poste temporaire à lui proposer pour finir la rédaction de sa thèse. Mais plutôt que d'être au chômage, ou de pouvoir travailler comme indépendante, en attendant d'avoir fini sa rédaction, Juliette est assignée – la veille – dans un collège de mauvais niveau. Parce qu'elle est agrégée de lettres modernes, et que le ministère peut donc l'envoyer où bon lui semble. Evidemment, sans tenir compte de ses désirs ou choix, mais, c'est le pire, ni de ses capacités. Car certes, elle doit enseigner, par vertu de son agrégation, contrepartie du travail garanti (rappelons que ce concours du secondaire est exigé par les universités pour l'obtention d'un poste). Mais que ne l'embauche-t-on pas, du moins, pour enseigner de récents immigrés chinois ? Dans un chinatown ? Ou comme secrétaire trilingue aux Affaires Etrangères, au commerce, ou dans une entreprise nationalisée qui fasse du commerce avec la Chine ? Il ne doit pourtant pas en manquer. Non, Juliette est envoyée devant des élèves turbulents, sans préparation ni préavis. Résultat : démission déjà programmée, le temps de se retourner, puis départ pour la Chine où, sans aucun doute, elle pourra trouver un emploi mieux taillé pour elle. Enorme gâchis, d'autant plus si l'on considère qu'elle est normalienne, et que la France a grassement financé ses études. Mais pourquoi Juliette resterait-elle sur le territoire ? Elle n'est pas même ingrate et, sans aucun doute, elle servira mieux les intérêts du pays par sa présence en Chine, où son intelligence et son efficacité seront mis au crédit du pays tout entier, que dépressive, dans son collège de banlieue. Si ce n'est qu'en Chine, elle parlerait mal d'un pays qui l'a traitée de façon tellement absurde, et qu'elle encouragerait sans aucun doute, comme je ferai, beaucoup d'autres jeunes talentueux à s'en aller, pour échapper au bizarre arbitraire qui règne en France.

29 septembre 2008

La provodnitsa, lorsque je suis allé lui demandé deux cafés ce matin, m'a redit comme la première fois « Pigalle, Pigalle », puis « Louvre » et « Gioconda ». Pour gagner ses bonnes grâces, j'ai répondu « vass gioconda », vous ressemblez à la Joconde. elle m'a serré dans ses bras.

2 octobre 2008

Le paysage du Dongbei, entre Daqing et Harbin, évoque énormément la Camargue. Alternance de champs et de marais, roseaux secs, lignes d'arbres à l'horizon, constructions agricoles. La ressemblance tient surtout aux couleurs : nuances de jaunes, dorés, ocres et bruns de la végétation, vert argenté des feuilles et bleu pâle du ciel. Aucune étendue d'herbe verte, ou de forêt dense, ici ; mais des tournesols, parfois, et des terres vaguement inondées. Je me sens donc un peu chez moi. Bon signe, en regardant par la fenêtre une heure plus tôt, Dave nous a dis que le paysage autour de sa ville, dans le Victoria, ressemblait précisément à cela. Je ne serai donc pas dépaysé, je traverse un climat connu, pour aller vers un autre climat connu.

3 octobre 2008

Harbin, dans les toilettes de l'UASbucks café, Zhongyang Dajie, photographies et cartes postales du monde occidental avec des femmes nues. De France, une photographie de l'arc de triomphe flanqué de deux fessiers en string bleu blanc rouge, avec pour légende « I love Paris ». Deux autres cartes avec une femme nue sur le sable, et la phrase « pensées d'un endroit sympa ». Avec le petit drapeau français que j'ai vu dehors, au milieu d'autres, c'est le seul signe de francité que j'aie vu depuis mon arrivée en Chine.

6 octobre 2008

Pendant quinze jours, les français avaient complètement disparu. Dans les hutongs du vieux Beijing, nous avons passé deux groupes au moins de retraités français ; sans compter les nombreux touristes anglophones, américains sans doute, qui se promenaient à pied, ou en rickshaw.

Un homme d'affaires en costume-cravate, un téléphone portable à la main, est attablé près du lac à la terrasse du starbucks où nous nous sommes arrêtés. Il parle en français.

7 octobre 2008

Face à Notre-Dame de Paris se trouve le point kilométrique zéro des routes de France. La France a d'autres structures architecturales centralisatrices : pyramide du Louvre, cour d'honneur de Versailles. En Chine, c'est le trône du fils du ciel, au sommet de l'édifice circulaire à trois étages menant au palais du ciel. Milieu de l'empire du milieu, centre du monde. Les grecs avaient Delphes et les catholiques le trône de Saint Pierre à Rome. Les musulmans la Ka'aba, les juifs, le mur des lamentations. Les anglo-saxons, eux, ont-ilzs un point central ? Est-ce que Buckingham est le centre du Royaume Uni ? Westminster ? saint Paul ? Sans parler de l'Australie : c'est un pays sans centre.

Une touriste française, qui passe près d'un temple latéral contenant cinq tablettes divines, parle à la femme qui l'accompagne du Mont Saint Michel et de la Tour Eiffel.

8 octobre 2008

Ne pas oublier que la Révolution Française est née de la lecture des classiques, en imitation de révolutions romaines ; que David peignait le serment des Horaces ; et que Racine déjà, même à la cour, et Corneille, peignaient un monde où changeait le pouvoir politique. Beijing, au contraire, représente un pouvoir intemporel, total ; on oublie le passé tumultueux, car on veut l'ordre et l'harmonie, le calme industrieux. Les peintures, notamment, ces paysages de montagne où de petits poèmes apparaissent dans un coin, sont anti-révolutionnaires. Qu'on est loin, même de Fragonard et Watteau, de Claude et Poussin, qu'il faudrait comparer à la peinture lettrée chinois. Je crois, peut-être à tort, que les arts français sont, malgré Debord, beaucoup moins spectaculaires, harmonieux, pacifiques.

En français, le même mot, « temps », correspond à « time » et « weather », l'heure qu'il est, et le temps qu'il fait. Les horloges françaises, dans le musée de la cité interdite, ont comme caractéristique de combiner horloge, thermomètre, et baromètre.

A visiter les appartements des femmes dans la cité interdite, je me mets à chantonner l'air de Carmen attirant Don José loin de Séville : « Tu ne dépendrais de personne, point d'officier, à qui tu doives obéir, et point de retraite qui sonne, pour dire à l'amoureux qu'il est temps de partir. Le ciel ouvert, la vie errante, pour pays l'univers, et pour loi, ta volonté ; et surtout, la chose enivrante, la liberté, la liberté. » Peut-être un idéal français ? Dans ce pays d'ordre et d'harmonie feng shui, je le ressens comme fortement désirable : ah, partir dans la montagne, et s'enfuir là-bas, dans le pays mandchou, dans les steppes mongoles, de l'autre côté du mur blanc qui délimite la crête, et met un terme à l'empire du milieu.

9 octobre 2008

Musique française contemporaine dans un espace d'exposition de 798 à Beijing : « Pourquoi, pourquoi, même quand les gens s'aiment, il y a, il y a, toujours des problèmes. » On expose Li Xin, Le Jardin gris, longues toiles abstraites en dégradés de beige et gris. Je lis sur les panneaux que l'artiste a vécu en France. Il y a, derrière le comptoir d'accueil, cinq vases soliflores, avec des gerberas rouges, alignés contre le mur blanc.

10 octobre 2008

Toujours dans la zone 798, j'entends « l'aquoiboniste » de Jane Birkin dans le petit café qui vient de me servir un fabuleux smoothie au thé vert. Je feuillette le guide du résident prêté par Alain : la ville est pleine d'expats. Quid de la musique chinoise, alors ??

11 octobre 2008

Par hasard, trouvé ce matin dans le quartier du Lido, près de chez notre hôte, une boulangerie « comptoirs de France », où je mange un pain au chocolat et un pain aux raisins, devant une tasse d'espresso. La pâtisserie n'est pas parfaite, à Paris, je ne retournerais pas dans une boulangerie qui servirait de telles viennoiseries, mais ici, c'est une parfaite bouffée d'air. Et 47 yuans pour le tout, ce n'est pas excessif. Prix parisiens, quoi. Je vais ramener à Philip un assortiment de macarons.

13 octobre 2008

Huahai road, concession française, métro shanxi lu. Premiers signes : marchands de gâteaux dans le métro, gigantesque librairie. Puis dehors, rues élégantes et boutiques de lingerie. Nous passons devant une boulangerie Paul, maison de qualité française fondée en 1889, puis devant une image du Luxembourg, avec Tour Eiffel et Notre Dame, des jeunes femmes élégantes lisent des livres sur les fauteuils en métal. Beauvillon (Paris) jouxte Promod et Levi's ; dans les vitrines des cafés, on vend des gâteaux à la crème.

Ming est tout excitée : « je suis de retour à Paris, regarde, H&M, C&A et Sephora. Si ce n'est que les vêtements sont beaucoup plus colorés dans la boutique H&M. Philip essaie un bonnet vert et noir à rayures, j'achète une casquette et, dans la queue derrière moi, deux françaises discutent.

16 octobre 2008

Mystère des fautes de français. Nous nous sommes arrêtés pour prendre un café à « croissants de France », « boulangerie et café française ». Pourquoi cet accord féminin ? N'y a-t-il personne qui surveille l'usage de la langue ? Est-ce la même personne qui, sur les tasses, a choisi d'écrire « si je ne suis pas chez moi, je suis au café. Si je ne suis pas au café, je suis sur la route d'aller au café » ?

18 octobre 2008

Traces de la France, au café Costa, près de Renmin Square, Shanghai – le seul avec wifi : 7 bouteilles de sirop Mounin. Signe d'ailleurs. Philip s'est fait vendre un « amaretto moka massimo », qui doit faire un quart de litres au moins.

19 octobre 2008

Nous trouvons à Hong Kong, sur Stan Ton street, une petite épicerie spécialisée dans les produits importés d'Europe. Ils ne vendent aucun produit français, mais de la bière belge, des conserves espagnoles, et de jus de fruits italiens, sans compter les classique pesto, ritter sport, et vinaigre balsamique. Juste à côté se trouve un restaurant belge, « steak et frites », qui propose un plat de « fresh live mussels », à la craie sur une ardoise.

21 octobre 2008

Arrivant au Japon, je vois ma première carte officielle du monde Pacifique, sur l'écran de l'avion northwestern. Et l'Europe, dans le coin gauche de la carte, est bien loin.

Après les arbres tropicaux des jardins d'Hong Kong, les paysages que je vois depuis le skyliner, quelque-part à l'ouest de Tokyo, me rappellent étrangeent la France de l'ouest, avec les genêts et la forme des branches, et malgré les rizières. Pourtant, quand j'y fais attention, les essences diffèrent, et j'ai même aperçu de petits palmiers – malgré ça, fort sentiment d'être en banlieue parisienne, ou quelque part entre Londres et Luton. C'est, je crois, la lumière surtout qui m'évoque ces régions. Très différente, ici, de celle qu'on voit en Chine, et surtout sous les tropiques : plus humide, plus blanche, plus poudreuse et plus douce. J'ai l'impression qu'elle va me donner froid, comme j'avais froid en île de France, l'hiver, et cela me fait un peu peur : moi qui m'imaginais déjà, pour toujours, vivre à la chaleur !

Il fait en vérité 23 degrés dehors.

23 octobre 2008

Après ma conférence à Keio, sur l'hypercentralisation de la langue française, je me retrouve en salle des profs de l'UFR de français. La doyenne arrive avec un sac de gâteaux rapportés de Kyoto par un étudiant, nous en mangeons, puis apparaît Ken, un japonais qui coordonne les programmes d'éducation bilingue, et finalement, Patrice, un hurluberlu dynamique, breton sans doute ou britonophile, exubérant et chevelu, qui me montre une série de vidéos délirantes qu'il développe comme nouvelle méthode FLE [www.rondpointprod.com]. Recherche de Blanchet sur les remparts de Saint Malo, publicité pour l'accordéon, clips hip hop : un vaste délire, mais pédagogiquement très efficace. Amusant, je suis arrivé, maintenant, loin de France, et le français devient une langue étrangère, les français des expats ; ambiance universitaire, je suis mal à l'aise ; dans une demi-heure, au maximum, je quitte, et pour longtemps, cet univers de pédagogues et d'étudiants. Je deviens écrivain professionnel à plein temps.

Dans la soirée, j'assiste à la rencontre avec Nancy Huston qu'organise l'institut franco-japonais. Cette femme est dans une certaine mesure un modèle d'écrivain bilingue, anglophone qui s'installe à Paris, puis rédige à la fois dans les deux langues, et traduit elle même tous ses ouvrages. Si ce n'est qu'elle a de Paris pris l'air tendu, la maigreur et les vêtements noirs, l'attitude femme fatale et désespérée. Nancy Huston m'évoque Barbara, par une sorte de beauté tragique, magnifiée par la vieillesse, et que grise terriblement l'approche de sa fin.

Minh Tran Huy, la première, me l'avait fait lire, en 1997, son livre Instrument des ténèbres, et dont j'ai comme seul souvenir de l'avoir lu dans un square, celui de la rue de Bièvre, ou de la rue de Grenelle, devant l'American University, près de l'église luthérienne Saint Jean. Minh est publiée par le même éditeur, et sans doute se connaissent-elles. Claire connait le médiateur à sa gauche. De cette femme qui, dix ou douze ans plus tôt, m'apparaissait comme une divinité lointaine, je ne suis plus séparé que par un degré. Signe de réussite ? Ou d'échec ? J'ai l'occasion, du moins, de l'approcher de près. Je ne l'aime guère ; elle est sans nul doute intelligente, mais je la trouve glaciale, et, colorée par le Japon sans doute, inquiétante et perverse. Elle ne me plaît pas. Je ne veux pas lui ressembler.

25 octobre 2008

Sur Ginza, « les champs elysées de Tokyo », je me sens plus proche de Paris qu'en aucun autre endroit. Marques de luxe, évidemment : L'occitane, Ladurée, Louis Vuitton. La nourriture hyper-luxueuse au sous-sol du grand magasin que nous fait visiter Claire : les gâteaux, les chocolats, les petites choses au poisson, cela ressemble à la Grande Epicerie du Bon Marché. Même niveau de luxe, même service discret, même attention aux détails. Puis nous mangeons dans un restaurant de tofu délicieux le menu dégustation, pour 3600 yens par personne, une succession de petits plats subtils et raffinés, tous au tofu, servi dans de la jolie vaisselle, en petites portions. Le service, contrairement à la Chine, n'est pas excessivement prévenant, pas insistant. Les clients sont, de même, plus retenus, sobres. Et l'endroit dégage une grande élégance, un raffinement parfait. Comme en France – à Paris – donc, le même goût du détail, et la même ritualisation des repas ; comme, dans les repas nouvelle cuisine, on n'a pas grand chose dans l'assiette, mais chaque chose est à la fois subtile et surprenante, réveillant goûts et consistances inattendus mais plaisants. Corollaire à ce raffinement, la tristesse ambiante, la névrose, et la cruauté. Prix de la perfection culinaire. Et je serai content de quitter Tokyo, comme j'étais heureux de quitter Paris.

26 octobre 2008

A Narita, sur un écran de télévision, des images de la cathédrale de Chartres.

28 octobre 2008

Dans le food court de l'étrange centre commercial cyberport, à Hong Kong, je mange une assiette d'Hainan chicken, servi avec une petite soupe et du riz. Je ne sais pas si c'est une illusion rétrospective, ou une révélation, mais je crois reconnaître les goûts de la poule au pot que préparait ma grand-mère de Lorraine. La cuisine chinoise m'est de plus en plus familière, en tous cas – le goût des choses en tous cas ; mais la façon de couper et de présenter légumes et viandes est différente. C'est, sans doute, là qu'est le plus grand écart avec la cuisine française familiale, ou la nourriture de brasserie.

30 octobre 2008

Sur Lama, petite île au sud de Hong Kong, je vois dans le frigo du restaurant Fu Kee, spécialisé dans les fruits de mer, une bouteille de Riesling alsacien Hugel, à côté des aquariums où les palourdes géantes étirent leurs pédoncules.

04 novembre 2008

Traces de France dans le vieil Hanoï : cafés, le mot « veston » qui doit désigner sans doute un costume, les vitraux de la cathédrale Saint Joseph, réalisés par Lauvergne à Paris, 1906, et les groupes de cinquantenaires français qui visitent avec nous le temple de la littérature.

05 novembre 2008

Est-ce à cause de la France que les vietnamiens d'Hanoï sont tellement antipathiques, hautains et mauvais commerçants ? Je voulais tout à l'heure acheter une planche de stickers lapins pour illustrer le cahier dans lequel je travaille cooking the pest. Une femme de quarante ans, la vendeuse, m'ignorait à moitié. Je demande le prix – 12 000. Je les ai vus ce matin près d'Hoan Kiem à 8000 ; je dis « too expensive », j'explique, ailleurs, 8000. Elle répète « 12 000 ». Je dis, c'est trop cher, à ce prix je vais les acheter ailleurs. Elle m'a déjà tourné le dos, reprenant le vague échange de paroles qui l'occupait avec une adolescente, téléphone portable à la main. Je m'éloigne, elle ne me rappelle pas, préférant manquer la vente à faire effort pour négocier avec moi.

07 novembre 2008

Don de la France aux vietnamiens : grand miroir en style versaillais, maintenant fendu dans l'angle supérieur gauche, qui décore un mur du pavaillon mandarin, dans la cité impériale d'Hué.

12 novembre 2008

En voyant l'autel des ancètres installé sur une étagère de la cuisine de Viet, à Saigon, sa lampe rouge et les petites tasses d'alcool de riz, je médite sur les bizarreries mandarinales de l'éducation française et des classes prépas. Si, dans une dissertation d'histoire antique ou de civilisation latine, Minh Tran Huy s'était essayée à tracer un parallèle entre les dieux lares protecteurs du foyer et ces autels omniprésents dans les maisons vietnamiennes, sans doute aurait-on jugé la chose hors-sujet. Parce que ce n'est pas canonique, et que surtout, le professeur, exclusivement formé à l'antiquité latine, ne peut pas juger de la situation vietnamienne, et donc si la comparaison des deux pratiques est ou non pertinente. Or comme un étudiant de prépa n'est pas censé proposer d'idées nouvelles, on ne fait pas de tels rapprochements. Par la suite aussi, car on n'a pas été préparé.

14 novembre 2008

Sur une affiche dans Phnom Penh, je vois une bizarre publicité pour des cigarettes de marque « Alain Delon », « the taste of France ». Avec une tour Eiffel sur fond rouge sombre, en dessous de laquelle un couple s'embrasse.

16 novembre 2008

Hier soir, parlant de la France avec Philip et Qiu Yi, nous avons identifié comme principale caractéristique de l'éthos français un certain rapport au langage : honnêteté, justesse, authenticité. Les conversations servent à répéter la description la plus précisément adéquate des situations. Les opinions, les points de vue, ne sont pas pris en compte, à moins qu'ils ne soient eux-même précisément décrits comme situation particulière justifiant tel choix de description. Le but existentiel du français serait donc avant tout la mise en mots juste du monde. Ce qui n'est pas universel.

17 novembre 2008

Nouvelle expérience de la musique française internationale au shopping mall de Phnom Penh : les skaters bougent au rythme d'une rappeuse qui répète « Est-ce que tu me vois, hé ho, est-ce que tu me sens, hé ho, pourtant je suis là, hé ho. »

21 novembre 2008

Dans un petit bar de Siem Reap, nous écoutons de la musique world, arabe d'abord, puis latino. La bande son rappelle précisément les bars parisiens. Pas de nostalgie pourtant : le contraste est fort avec l'environnement : les cambodgiens sont incroyablement comiques, rieurs, cabotins ; la musique est sincère et sérieuse. Et je me rends compte, rétrospectivement, combien la vie parisienne était fatigante, si constamment sérieuse et sincère, sourcils froncés, le mal de vivre à fleur de peau, sans la légèreté du flirt séducteur et commerçant, le sourire de l'hypocrite, et la danse de l'arnaqueur. Pas très sexy, quoi.

6 décembre 2008

Rencontre avec la France à Melaka, sous la forme d'un Carrefour au deuxième étage du megamall. Adaptation : le magasin ferme les vendredi et samedi après-midi, pas le dimanche. On vend des appareils pour conserver l'eau chaude. Les produits alimentaires aussi sont différents : biscuits à la cacahouète et jus grenade-mangoustan ou durian-noix de coco. Mais l'impression d'ensemble est néanmoins familière, l'organisation des rayons, semblable à celle des hypermarchés français. Curieux, je cherche les fromages – vais-je trouver roquefort et camenbert ? Non, seulement babybel, superslice et Vache qui rit. Marchant ensuite vers le centre ville, nous trouvons sur une sorte d'esplanade un bistrot Délifrance, comme à Londres ou Dublin, qui vend croissants, chaussons aux pommes et pains au chocolat. Les chaises en bois léger et tressage de faux osier bleu et blanc, les tables en marbre, sont les mêmes que dans les cafés parisiens.

Plus tard, coincés dans le shopping mall après une comédie malaise au cinéma, nous demandons au bowling comment sortir. Le garçon qui nous escorte demande « Where are you from ? » « I love France, » réagit-il à ma réponse, puis il commente, « Zinedine Zidane. France is my favorite team ! »

08 décembre 2008

Petit déjeuner chez Délifrance. Photos de Paris sur les murs, Champs Elysées, Montmartre, et couple qui s'embrasse sur un carrousel. Vue d'ici, la ville est exotique et superbement romantique.

10 décembre

Accueillis par un ancien élève de Philip, originaire des Vosges, expatrié d'Axa. Sa copine, pour le dîner, nous sert des quiches au fromage Carrefour puis, souriante, elle demande en apportant les tasses de tisane rituelles : « une sucrette avec le pisse-mémé ? »